1794-1809 - Les Biens Nationaux et la Révolution à Ergué-Gabéric

De GrandTerrier

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Comment les biens du Clergé et de la Noblesse sont confisqués dès 1794, expertisés, vendus aux enchères, et donc versés in-fine dans le domaine privé, avec deux ou trois exceptions.

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Autres lectures : « 1794-1809 - Aliénation des biens du clergé mis à disposition de la Nation » ¤ « Collection des documents d'archives » ¤ « 1789 à 1799 - Les dates clefs de la Révolution à Ergué-Gabéric » ¤ « 1792-1795 - Liste des citoyens absents et réputés émigrés » ¤ « 1802-1807 - Le domaine gabéricois de l'Ordre national de la Légion d'honneur » ¤ « François Salomon Bréhier, maire (1808-1812) et avoué franc-maçon » ¤ 

Présentation

Les biens de l'Église et des nobles contre-révolutionnaires saisis lors de la Révolution française forment les « biens nationaux » dont la revente à des propriétaires privés a pour but d'éponger la crise financière nationale.

Pour toutes les communes de France, et pour Ergué-Gabéric en particulier, cette décision génère un fonds documentaire détaillé, composé de rapports d'expertise et d'adjudication qui permet de comprendre la nouvelle donne sociale et économique de cette fin de XVIIIe siècle.

Environ une quarantaine de propriétés réparties sur tout le territoire communal sont visées par cette réaffectation foncière : cf. tous les documents dans l'espace "Révolution-BN" avec leur localisation dans chacune des 10 trèves paroissiales [1] de l'époque.

Pour ce qui concerne le patrimoine religieux, l'église paroissiale échappe aux saisies, mais ce n'est pas le cas du presbytère, et toutes les chapelles furent concernées : Kerdévot la plus renommée, mais aussi St-Guénolé, St-André, et les chapelles en ruine comme St-Joachim, Sainte-Appoline et St-Gildas.

Le Pressoir ou les Biens nationaux du Clergé, estampe anonyme

À l'exception de l'auto-attribution du presbytère et de l'acquisition de Sainte-Appoline par une négociante quimpéroise, les acquéreurs des autres chapelles sont agriculteurs ou aubergiste. En fait ces acteurs locaux n'agissent pas par spéculation, mais sont les prête-noms de la population qui désire préserver la dimension communautaire des lieux de culte.

Les chapelles de Kerdévot et de St-Guénolé seront restituées à titre gracieux quelques années plus tard à la fabrique communale. Pour Kerdévot on dispose même d'une archive attestant d'une quête paroissiale préalable à la mise aux enchères.

Les prix estimés et de vente sont exprimés en livres. En principe cette unité monétaire a été rebaptisée "franc" en 1795, mais jusqu'aux années 1810 on continue à parler en livres. Les prix d’adjudication à la dernière enchère sont soit exactement le prix de l'estimation faite par un expert agréé, soit légèrement supérieurs. Une exception pour Kerdévot : les 6000 livres faisant huit fois le prix initial de l'expert.

Le presbytère est aussi un cas particulier, il est attribué sans enchères à l'un des experts-avoués qui co-signe le rapport d'estimation, lequel Salomon Bréhier loue le local à la commune pour y loger les prêtres de la paroisse, devient lui-même maire d'Ergué-Gabéric, et revend ensuite le lieu pour un montant non négligeable au recteur, lequel restitue contre remboursement l'habitation à la « fabrique communale ».

Pour les propriétés et dépendances des nobles qui se sont rebellés contre la Révolution et se sont exilés à l'étranger, la vente en tant que bien national consiste en un transfert du foncier car les baux des domaniers et exploitants sont généralement maintenus par les nouveaux propriétaires. Les adjudicataires doivent se plier à une vente publique aux enchères, et les prix des dernières enchères sont très souvent 8 à 10 fois supérieurs aux valeurs initiales d'estimation.

Les biens nationaux les plus côtés sont dans l'ordre le manoir de Kervreyen (100 700 livres), celui de Kerfors (77 000), Mezanlez (67 100) et Le Cleuyou (50 600).

Le manoir de Lezergué du seigneur de La Marche constitue un dossier spécial car il n'est pas versé dans les Biens Nationaux, tout au plus les biens et effets laissés sur place sont mis sous séquestre. Et pourtant le chef de famille François-Louis et son fils Joseph-Louis-René sont émigrés, le premier à Jersey, le second en Guadeloupe.

Le château de Lezergué vers 1770, aquarelle Anne Cognard 2017

Mais le dernier des fils reste sur Quimper et joue de son influence auprès des autorités pour la levée des séquestres et obtient même une amnistie au décès de son père. Ainsi la famille de La Marche conserve le château de Lezergué et les tenues de Kerdudal. Par contre les dépendances de Kerfors, Kernaou et Kervreyen sont privatisées en tant que bien nationaux indépendants.

L'autre exception est le domaine de Kerjestin, à savoir le territoire sud-est de la commune, autrefois propriété des Rohan et saisi en 1592 par la Saincte-Union, les Rohan-Gié étant considérés comme huguenots "hérétiques". Toutes ces tenues nobles, à savoir le moulin du Faou, Kermoisan, Keranroue, Kerjestin, restent néanmoins aux VII-XVIIIe siècles sous la coupe des Rohan-Guémené « tenues et possédées prochement, ligement [2] et noblement du Roy nostre sire ».

Fin 1802, plutôt que d'être allotis en biens nationaux, les biens de Kerjestin sont intégralement versés au domaine de la Légion d'honneur, ce qui fait que les baux de fermage servent à financer cette institution. Lorsque le domaine de la Légion est dissout en 1807 ce sont les fermiers domaniers eux-mêmes, et non des spéculateurs fonciers, qui peuvent racheter les exploitations.

Si l'on regarde le tableau récapitulatif des biens nationaux dressé ci-dessous, on se rend compte qu'il reste deux autres grands domaines nobles faisant l'objet d'allotissements et d'enchères réglementaires, et donc de spéculations : Pennarun près du bourg et Cleuyou de Quimper. Ces propriétés et leurs mouvances sont acquises en majeure partie par les notables ou bourgeois de la ville de Quimper.

Ces nouveaux propriétaires sont négociants (Le Guen pour Kerfors, Debon à Plas an Intron, Mermet à Kervreyen, Marie Madeleine Merpaut), médecin (Vinoc à Pennarun), imprimeur (Derrien à Pennarun), avoués (Le Roux à Kernaou, Bréhier), la plupart initiés au sein d'une loge maçonnique quimpéroise.

Très peu s'établissent localement en y habitant. L'un d'entre eux, Salomon Bréhier, s'y installe en élisant domicile au manoir de Mezanlez racheté au précédent adjudicataire, et il sera même nommé maire de 1808 à 1812. À Pennarun les Derrien et Vinoc revendent leurs biens assez rapidement. Au Cleuyou la négociante Madeleine Merpaux, sans héritiers, transmet indirectement le manoir aux Mermet [3] présents déjà à Kervreyen. À Kernaou l'héritage sera transmis par les femmes, sur plusieurs générations, aux descendants des Le Roux.

Tableau récapitulatif

Bien Anc. prop. Nouv. prop. Prix estimé Prix vendu Commentaire
I. Biens ecclésiastiques
Presbytère Clergé Salomon Bréhier, avoué de Quimper 1790 livres 1790 livres Revendu au recteur et à la commune en 1814
Chapelle de Kerdévot Fabrique Jérôme Crédou, agriculteur 800 livres 6000 livres Restituée
Chapelle de St-Guénolé Fabrique Alain Rannou, agriculteur 400 livres 630 livres Ibid
Chapelle de St-André Fabrique Pierre-Jean Crédou, agriculteur 100 livres 395 livres Privée, non restituée
Chapelle de St-Joachim Fabrique Laurent Le Corre, aubergiste au bourg 120 livres 125 livres En ruine, démolie
Chapelle de Ste-Appoline Fabrique Marie Madeleine Merpaut, négociante à Quimper 80 livres 85 livres Ibid
Chapelle de St-Gildas Fabrique Alain Rannou, agriculteur 70 livres 75 livres Ibid
II. Domaine de Lezergué
Manoir de Lezergué François-Louis de La Marche N/A N/A N/A Manoir préservé, séquestre des biens et effets, amnistie en 1803
Tenues de Kerdudal François-Louis de La Marche N/A N/A N/A Expropriation en 1809
Manoir de Kerfors François-Louis de La Marche Guillaume Le Guen, négociant 7460 livres 77000 livres Ruines et dépendances
Manoir de Kernaou François-Louis de La Marche Jean-Marie Le Roux, avoué à Quimper 4100 livres 38000 livres
Métairie de Kervreyen François-Louis de La Marche Vincent Simon Mermet, négociant 8135 livres 100400 livres
Métairie de Chevardiry François-Louis de La Marche Sébastien Billette de Quimper ? livres 9200 livres.
Manoir de Mezanlez Pauline et Angélique Derval Pierre Senart et Marc Glinec 7850 + 10000 + 1800 livres 67100 + 72200 + 8100 livres. Revendu ensuite à l'avoué-maire Salomon Bréhier
Métairie de Lostanguilliec Pauline et Angélique Derval René Maguer et Catherine Le Corre 1041 livres 15100 livres.
III. Domaine de Pennarun
Manoir de Pennarun Marie-Hyacinthe Gélin et mère Yves Jean Louis Derrien, imprimeur à Quimper 6090 livres 42000 livres
Métairie de Pennarun Marie-Hyacinthe Gélin et mère Corentin Vinoc, médecin à Quimper. 6570 livres 41000 livres
Moulin de Pennarun Marie-Hyacinthe Gélin et mère Corentin Vinoc, médecin à Quimper. 1553 livres 1775 livres
Métairie de Plas an Intron Marie-Hyacinthe Gélin et mère Jacques Debon, négociant-maire de Quimper 2475 livres 1300 livres
IV. Domaine du Cleuyou
Manoir du Cleuyou François-Hyacinthe Tinteniac Marie Madeleine Merpaut, négociante à Quimper 6560 livres 50600 livres
Moulin du Cleuyou François-Hyacinthe Tinteniac Marie Madeleine Merpaut, négociante à Quimper 5546 livres 5546 livres
Métairie du Chartier François-Hyacinthe Tinteniac Simon Bouilly 2040 livres 20700 livres
Métairie du Kerampensal François-Hyacinthe Tinteniac Marie Madeleine Merpaut et Marguerite Jeanne La Fage 5760 livres 50000 livres Merpaut négociante et La Fage fille du procureur
V. Domaine de Kerjestin
Moulin du Faou Domaine royal des Rohan Légion d'honneur, puis Hugot Derville 936 / 1473 livres 936 livres
Convenant de Kerjestin Domaine royal des Rohan Légion d'honneur, puis Jean Gourmelen 1625 + 1720 livres 1725 + 1775 livres
Convenant de Kermoisan Domaine royal des Rohan Légion d'honneur, puis Denis Gourmelen 3000 livres 3025 livres
Tenues de Keranroué Domaine royal des Rohan Légion d'honneur, puis Denis Kerfer, Marie Gourmelen et Michel Le Berre 1600 + livres 1625 livres

Annotations

  1. Trève, s.f. : du breton Trev résultant d'un emprunt par le vieux breton Treb "lieu habité et cultivé" au latin Tribus "tribu". Ce terme va prendre au 11e siècle le sens de "quartier, circonscription". L'acception de "trève, "église succursale" est plus récente. Source : Albert Deshayes, dict. des noms de lieux bretons. [Terme] [Lexique]
  2. Lige, s.m : redevance due pour une terre possédée sous la charge de l'hommage lige (hommage précisant les obligations du vassal); et aussi ce qui appartenait sans réserve en toute propriété. Source : Trésors Langue française. [Terme] [Lexique]
  3. Après avoir été propriété des Mermet, le manoir du Cleuyou passera par alliance dans les mains des Le Guay sur 4 générations.



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Thème de l'article : Document d'archives sur le passé d'Ergué-Gabéric. Création : Juin 2009    Màj : 13.01.2024