Un peintre "persona non grata" à Kerdévot, Le Quimpérois 1842

De GrandTerrier
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Un peintre qui, pour la population locale, est suspect de participation à la campagne de conscription : « Les cultivateurs du pays se forment les idées les plus bizarres sur tout ce qu'ils voient ! ».

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Autres lectures : « Kemperiz e Kerzevot, Quimpérois à Kerdévot, Feiz ha breiz 1870‎ » ¤ « Le pardon de ND de Kerdévot » ¤ « Pardonerien e Kerdevot, Pardon à Kerdévot, Feiz ha breiz 1871 » ¤ « Pèlerinage à Notre-Dame de Kerdévot, l'Impartial du Finistère 1871 » ¤ « 1867-1872 - Tirage au sort, exonération et remplacement au service militaire » ¤ « DELOUCHE Denise - Eugène Boudin au pardon de Kerdevot‎ » ¤ 

Présentation

Cet entrefilet [1], publié dans le journal « Le Quimpérois » [2] du 27 août 1842, relate un fait-divers qui s'est produit lors du pardon de Kerdévot, deux ans auparavant en 1840 : un peintre qui faisait des croquis de costumes bretons dut quitter les lieux car l'assistance pensait « qu'il travaillait par ordre du gouvernement, et dans l'intérêt de la conscription ».

Pourquoi les paroissiens de septembre 1840 étaient-ils si méfiants via-à-vis des conscriptions nationales ? Adolphe Thiers, président du conseil de la monarchie de Juillet depuis le 1er mars 1840, avait mené une politique étrangère en Egypte contre les autres puissances européennes (Royaume-Uni, Autriche, Prusse et Russie). Devant la menace de ces derniers, il dut décréter le 29 juillet la mobilisation des soldats des classes 1836 à 1839 et faire commencer les travaux des fortifications de Paris.

En 1840 la population était très réticente à envoyer ses enfants sur le front. L'article rappelle le contexte : « Dans l'année 1840, au moment où la guerre générale semblait inévitable, et qu'on rappelait sous les drapeaux les jeunes soldats des classes libérées ». De plus la conscription était organisée au tirage au sort car seuls 30 à 35 % des conscrits célibataires ou veufs sans enfant effectuaient leur service militaire. Une mobilisation n'était pas la bienvenue, et en région les esprits étaient bien échauffés : « Les bretons, si patients ordinairement et d'un caractère si inoffensif, n'entendent aucune espèce de raillerie en matière de conscription, dit l'article.

Cette situation changera dans les décennies suivantes jusqu'à la mobilisation de 1870. Et à Kerdévot on organisera même en ces 1870 et 1871 des pardons et des pèlerinages en l'honneur des jeunes soldats partis ou revenus du front prussien.

Quant au peintre de 1840, suspecté d'être un agent recruteur, on ne connait ni son nom, ni son œuvre. Par contre en 1855-57 un célèbre peintre, Eugène Boudin, viendra à Kerdévot pour y faire des dizaines de croquis de « pardonneurs ». Un journaliste aurait pu écrire aussi à son propos : « Un artiste dessinait au pardon de Kerdévot les costumes bretons si nombreux et si variés dans cette assemblée considérable ».

Eugène Boudin, Kerdévot, 1855-57

Transcription et coupure

Les cultivateurs du pays se forment les idées les plus bizarres sur tout ce qu'ils voient. Dans l'année 1840, au moment où la guerre générale semblait inévitable, et qu'on rappelait sous les drapeaux les jeunes soldats des classes libérées, un artiste dessinait au pardon de Kerdévot les costumes bretons si nombreux et si variés dans cette assemblée considérable.

Bientôt le bruit se répandit qu'il travaillait par ordre du gouvernement, et dans l'intérêt de la conscription. L'artiste, averti que cette opinion prenait de plus en plus de consistance, disparut prudemment. Il craignit, avec juste raison, d'être la victime de quelque méprise.

Il avait pensé que les bretons, si patients ordinairement et d'un caractère si inoffensif, n'entendent aucune espèce de raillerie en matière de conscription.

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Annotations

  1. Information et document communiqués par Pierrick Chuto, passionné d'histoire régionale, auteur de nombreux articles (Le Lien du CGF, La Gazette d'Histoire-Genealogie.com ... ) et de livres sur les pays de Quimper et du Pays bigouden. Tous ces livres sont disponibles sur http://www.chuto.fr (paiement CB possible) ou en librairie. [Ses publications]

    Livre paru en 2010 : « Le maître de Guengat, "Mestr Gwengad" » (Auguste Chuto né en 1808, propriétaire-cultivateur, meunier et maire). « La terre aux sabots, "Douar ar boutoù-koad" » (Louis-Marie Thomas cultivateur à Plonéis en Basse-Bretagne de 1788 à 1840) est publié en mars 2012. « Les exposés de Creac'h-Euzen - Les enfants trouvés de l'hospice de Quimper au 19e siècle » (le tour de l’hospice civil et les 3816 enfants exposés entre 1803 et 1861, réédité et enrichi en 2019) est sorti en octobre 2013 et réédité fin 2019. « IIIe République et Taolennoù, tome I, 1ère époque 1880-1905 » (l'histoire d'Auguste Chuto prédicateur de Penhars) en février 2016. Le tome 2 de la confrontation des Cléricaux et des laïcs en Cornouaille, « Auguste, un blanc contre les diables rouges (1906-1925) » sort en 2018, et en 2019 c'est le pays bigouden qui est à l'honneur : « Du REUZ en Bigoudénie, Blancs de Plobannalec et Rouges de Lesconil (1892-1938) ». En 2021 : « Bien-aimée Marie-Anne » (belles lettres d'amour de son arrière-grand-père à sa promise). En 2023 : « L'évêque et les danses Kof ha Kof » (l’évêque de Quimper et de Léon de 1908 à 1946 en lutte contre les danses "ventre à ventre").
  2. Le journal « Le Quimpérois » est fondé en avril 1838 par Théophile Guérin, directeur de la Banque immobilière, et par l'économiste et historien Armand Du Chatellier. C'est le premier journal d'annonces paraissant chaque samedi, chaque numéro incluant des « morceaux de littérature », les mouvements du port de Quimper et les nouvelles modes qui voient le jour à Paris ...



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Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric Création : septembre 2012    Màj : 20.12.2023