Hervé Gaonac'h, sécheur à la papeterie d'Odet

De GrandTerrier

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« Faire mousse, c’était le plus dur, car ça cassait souvent à l’époque ... »

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Hervé Gaonac’h, ouvrier factionnaire à l’usine Bolloré de 1966 à 1993, interviewé le 30 décembre 2006 par Jean Cognard.

Autres articles : « Louis Bréus, sécheur à la papeterie d'Odet » ¤ « Fanch Page, surveillant factionnaire à la papeterie d'Odet » ¤ « Youenn Briand, ancien conducteur de la machine à papier n° 7 » ¤ 

Transcription de l'entretien

D’où étaient vos parents, de quelle ferme ?

Je suis né à Landrévarzec en 1936, du 20 septembre. Ensuite j’ai été à Kernescop près de l’usine côté Briec, mes parents avaient une ferme en location. J’ai été à l’école St-Joseph à Lestonan, jusqu’au certificat d’études à 14 ans. Après je suis resté avec mes parents à travailler à la ferme à Kernerscop, et après on est allé à Coray, à la limite d’Elliant, près de Croas-Menez-Bris, un peu plus bas. Là c’était une toute petite ferme, je suis allé travailler comme ouvrier agricole.

L’embauche à l’usine ça s’est passé comment ?

Je suis rentré en 1966 à l’usine. J’avais passé les tests en 1962 le même jour que ton père Antoine, mais je n’avais pas été pris. C’était au mois de juin, on était 7 en tout, et 3 seulement avaient été pris. Il y avait Douguet de Landudal, Michel Floch et Antoine. Ceux qui n’avaient pas été pris : moi, Lannig Pétillon, André Le Bras et un quatrième.

Je n’avais pas tout à fait 30 ans. J’ai été en 2x8 comme manœuvre au début, le temps de connaître le boulot, et après, en 1966-1967 je suis passé mousse et j’ai travaillé avec Antoine aux machines 7 et 8.

On n’avait pas une grosse paye à l’époque. On n’était pas payé trop, par rapport aux fermes où on était nourri. Après en 1968 ça a augmenté beaucoup. Mais en 1966, on avait comme paie moins que 40.000 anciens francs, peut-être 30.000, dans les fermes on avait 25.000.

Je venais de Coray tous les jours, ça faisait 13 kilomètres. Au début je n’avais pas de voiture, j’ai passé mon permis deux mois après, je venais en mobylette. Après j’ai trouvé quelqu’un pour faire la route en voiture avec moi. Ceux qui venaient de Briec faisaient pareil à tour de rôle : Fanch Page, Antoine, Michel Floch et Fanch Loc’h d’Edern.

Avec qui travailliez-vous quand vous étiez de faction ?

Quand je suis passé mousse, Antoine était sécheur à la 7 avec Jean Quéau (il habitait une vieille maison au bord du canal là où est la salle de tennis maintenant). Quand la 7 s’est arrêtée en 1969, il n’y avait plus qu’une machine en bas, et Antoine est parti à la machine 10. Moi j’ai été aux calandres six mois. Et après comme il manquait quelqu’un à la 9 et 10, je suis retourné comme mousse pendant 7 ans, et ensuite sécheur.

En 1983 je suis allé à Scaër comme sécheur pour le papier condensateur, au début avec Fanch Page comme surveillant. Ensuite Fanch Page a changé de faction pour les fibres longues. En 1987 je suis revenu au plastique ici, pendant 5 ans et demi.

Pendant plus de 15 ans je suis resté dans la même équipe, dans la même faction, jusqu’en 1983. De 1980 à 83 c’est Michel Moysan qui a remplacé Antoine. On m’a proposé de passer conducteur, mais j’ai refusé car ça aurait fait des jalousies car j’étais célibataire, donc j'avais besoin moins d’argent. La différence de salaires entre sécheur et conducteur était importante.

Par machine il y avait par faction de 8 heures deux ouvriers et demi : le conducteur, le sécheur, et le mousse qui se partageait entre 2 machines côte à côte. A la fin il y avait plus de mousse, la machine tournait avec deux personnes. Le conducteur avait plus de responsabilités que le sécheur. Mais c’était le surveillant qui contrôlait pendant sa faction les 4 machines et qui décidait quand on arrêtait une machine.

Et comment étaient les horaires de travail ?

On était tous de faction, mousses, sécheurs, conducteurs et surveillant. On faisait les 3x8 : de 21H à 5H, de 5H à 13H, de 13H à 21H. A part nous les autres travaillaient de journée, certains étaient en horaires de bureau, d’autres, comme les femmes, en 2x8.

Entre les gens de journée et les gens de faction il y avait un peu de jalousie, mais ils s’arrangeaient bien ici. Entre les factionnaires il y avait une bonne ambiance, ça marchait bien depuis des années, on a passé du bon temps. Dans les dernières années ils avaient nommé des bancs, c’est-à-dire des remplaçants, quand il y avait des malades. Mais avant il n’y avait pas de remplaçants, il fallait travailler 3 semaines de rang sans changer d’horaire, quand on était 3 personnes sur 4.

Quand on commençait à 5 H on reprenait à 13 H le lendemain, c’était les factions normales. Quand on devait tourner à 3 sécheurs-conducteurs au lieu de 4, on reprenait à la même heure, par exemple 5 heures, pendant 3 jours de suite ou 4 jours de suite, pour avoir un dimanche. C’était plus dur, et ça pouvait durer un mois.

Les machines s’arrêtaient-elles de temps en temps ?

On arrêtait la machine quand il fallait changer de toile. On disait « chañch form » en breton. Et ça pouvait arriver la nuit, n’importe quand. Et pour changer la toile, il y avait besoin plus de monde qu’il fallait aller chercher chez eux. Des fois la nuit on entendait une voiture et quelqu’un qui frappait à la porte. Il n’y avait pas de téléphone à l’époque. Moi j’ai été chercher des gens, mais la nuit j’aimais pas ça quand je connaissais pas très bien où ils habitaient. Une fois à Bigoudic, je me suis trompé de maison mitoyenne, et je me suis fait engueulé.

Papeterie de Cascadec en Scaër (Livre d'or Bolloré)

Les changements de toile étaient en plus des factions, c’était des heures supplémentaires. On était dans l’eau, il fallait laver, ça pouvait durer 8 heures, au début il faisait chaud, mais à la fin du changement on avait froid.

Tout le monde était-il syndiqué ?

Dans le temps, les ouvriers n’étaient pas syndiqués, moi j’ai pris mon timbre le temps que j’ai travaillé à l’usine. J’étais à la CGT, c’est Hervé Rannou qui me donnait mes timbres, et Rémi Quéniec était le secrétaire.

Souvent des histoires arrivaient quand quelqu’un voulait monter en grade. Les histoires c’était pour des changements de grade, pour la paye, moi je suis resté mousse pendant sept ans, et la machine 7 s’est arrêtée, et on pouvait plus monter en grade.

Faire mousse c’était le plus dur ; ça cassait souvent à cette époque, après ça s’était amélioré. On était le moins payé, mais on a passé du bon temps là. Il faisait chaud, ça c’est sûr. On était en tricot de cœur et en bleu en chauffe. Des fois l’été certains étaient en short.

Beaucoup d’ouvriers sont morts, et jeunes certains. Lann Lagadec en 1976. Antoine en 1980, il est parti vite. Je me souviens qu’il avait travaillé le 11 février, la nuit, et qu’il a été enterré le 1er mai. Beaucoup sont partis après, Jos Le Bec, Le Roy (le mari d’Angèle Perchec), Henri Moysan, René Collorec de Landudal, et deux qui étaient au plastique : Bertrand Clec’h et Le Coz, et beaucoup avaient moins de 50 ans.

Comment se passait le trajet pour aller à Scaer ?

Pour aller à Scaër, ils fournissaient des voitures aux factionnaires. Ceux de journée avaient un car. Dès qu’on arrivait à Scaër, on laissait la voiture à ceux de la faction précédente qui rentraient à Ergué. Il y a eu des histoires avec ces voitures, des fois il n’y avait plus de voitures, des chefs les avaient pris pour faire des courses, et on était obligé de prendre notre voiture personnelle pour y aller. On n’était pas payé plus pour le trajet, on était payé 8 heures, mais on travaillait 9 heures si on comptait le trajet. En général on s’arrangeait pour ce que celui qui conduisait reste pendant une semaine, il avait une petite prime pour ça.

Entrée de l'usine d'Odet dans les années 1950

L’ambiance n’était pas terrible à Cascadec. On a été obligé d’y aller, sinon on était mis dehors. On nous regardait comme des chiens de faïence, l’air de dire qu'on n’aurait pas du venir [1].

Vous alliez où manger quand vous travailliez ?

On mangeait à la cantine à l’Orée du Bois. Il y en a aussi qui allair chez Pierre Corre, mais moi j’allais chez Germaine et Émile. Quand je finissais à 13 heures j’allais manger là.

Les anniversaires et les fêtes chez Bolloré on les fêtait bien. Antoine et Michel Moysan étaient de juillet. A Cascadec il fallait carrément envoyer une bouteille de Ricard. A Odet il fallait payer une bouteille de vin, pas du Ricard. On était 5 ou 6 par machine à trinquer. Le surveillant généralement il ne savait pas. Il ne fallait pas que le bruit des bouteilles s'entende en passant avec son sac devant le concierge. C’est arrivé à un Jean-Marie que son sac casse juste à ce moment-là. On avait bien ri quand il nous avait raconté.

Que sont devenus les derniers ouvriers de faction ?

Il ne reste plus beaucoup de factionnaires aujourd’hui. Le plus vieux c’est Louis Bréus de Bigoudic. Il a 83 ans, il a une canne, il a mal à ses genoux, il a été malade du cœur aussi, mais maintenant ça va. Il était sécheur à la machine 10, je l’ai remplacé. Il a été embauché avant 1950 certainement.

Il y a une dizaine d’année, vers 1995, il y avait eu des gueuletons avec les anciens papetiers en retraite. Jean Heydon et Jean Hascoët avaient organisé ça, ils essayaient de contacter tout le monde. Moi je suis allé un soir. On avait dit à Fanch Page de s’occuper de ceux de Briec. Jos Bec, les frères Huitric et Jean Guéguen étaient là. Fanch Mao, le jardinier de l'usine et le doyen d'Ergué, était là aussi. Pierre Eouzan, le contremaître, était venu également. Ils avaient dit qu’ils auraient fait ça tous les ans. On avait été mangé à l’Orée du Bois, c’était simple, mais très bien. Deux n’étaient pas venus, une était malade. Il y avait 88 personnes en tout, avec les conjoints.

Hervé Gaonac’h,
Usine d’Odet de 1966 à 1983

Annotations

  1. Témoignage de Roger Douget, ancien ouvrier de Cascadec : « J'ai été choqué de lire que les ouvriers d'Odet ont été mal accueillis à Scaër en 83 quand Bolloré a fermé la papeterie d'Odet ; je comprends leur désarroi, on a vu ces gens arriver à Cascadec et on imagine que l'on aurait pu être à leur place si on avait fermé Scaër ; on nous avait dit de bien les accueillir, c'est ce qu'on a essayé de faire. Pour ma part j'ai formé un gars d'Odet à la chaufferie, que je sentais traumatisé par la perte de ses repères dus au changement de son lieu de travail ; je me suis déplacé pour l'aider en dehors de mes factions, même la nuit. Il ne m'aurait pas remercié comme il l'a fait s'il avait eu le sentiment de ne pas être le bienvenu à Cascadec. »



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Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Création : avril 2006    Màj : 10.09.2023