Journal paroissial du recteur Gustave Guéguen, extraits 1941-47

De GrandTerrier

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Gustave Guéguen, surnommé "Gustave" par tout le monde, a été recteur de la paroisse d'Ergué-Gabéric pendant une quinzaine d'années de 1941 à 1956.

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Il a tenu un registre-journal, conservé actuellement aux Archives Diocésaines, dans lequel il parlait de lui alternativement à la 3e personne (« le Recteur arriva à l'heure fixée ») et la 1ère personne (« je viens d'apprendre que ... »). Il y notait tout, des détails "techniques", mais aussi ses états d'âmes et coups de gueule.

Autres articles : « Gustave Guéguen, recteur (1941-1956) » ¤ « 1941-1956 - Le journal-registre paroissial du recteur Gustave Guéguen » ¤ « Les années difficiles 1940-1945, témoignage de Jean Guéguen » ¤ « Gustave "Person bragou ruz" raconté par Jean Guéguen et l'abbé Pennarun » ¤ « Souvenirs d'enfance de fin de guerre 1939-45, par Michel Le Goff » ¤ 

Présentation

Le recteur Gustave Guéguen a tenu ce journal pendant toute sa mandature à Ergué-Gabéric, et la fraîcheur de ses observations, ses agacements et obsessions, sont un vrai matériau pour comprendre cette époque de guerre et d'après-guerre. Fanch Ac'h et l'association ont démarré et publié quelques extraits, notamment pour les années 1941 et 1947, et Jean Guéguen a transcrit certaines pages de 1943 et 1944.

Mais le travail est loin d'être achevé : un jour prochain il sera peut-être possible d'en publier une version intégrale. D'ores et déjà, voici quelques perles qui peuvent donner une idée des transcriptions déjà réalisées (cf. les textes au chapitre suivant).

Le 2 mars 1941, le recteur constate une bonne assistance au pardon de St-Guénolé, mais il ne peut s'empêcher de pourfendre la jeunesse : « Il est toutefois regrettable que certains jeunes gens et jeunes filles, au lieu d'assister aux offices, aient senti le besoin de se réunir trop nombreux dans les granges du voisinage pour des amusements » et il conclut par un « Des arriérés !  »

La rentabilité des quêtes est l'une de ses grandes obsessions, que ce soit pour les grand messes, les messes basses et les pardons : « 5 F. comme offrande à toutes les messes !!! Inconcevable.  » ; « Un pardon qui paie bien. », à savoir le pardon "mud" (muet) de Kerdévot le 10 avril 41.

L'occupation de l'école des sœurs par un cantonnement de soldats allemands en juillet 1943 est racontée avec des précisions quant à la façon dont le déménagement des meubles et des occupantes a été organisé : « Jusqu'à 23 h on a transporté au presbytère dans la cour, les objets les plus hétéroclites. Dans la matinée du samedi le clergé, les abbés ont mis un peu d'ordre dans ce capharnaüm ... »

Quand la fin de la guerre se profile, Gustave observe et note un tas d'évènements, l'arrivée des résistants au bourg, avec les drapeaux français qui apparaissent une journée - « deux cafés arborent les 3 couleurs » - et sont retirés ensuite par crainte de l'occupant. Et cet exploit d'un jeune garçon anonyme (?) : « Un scout a hissé le drapeau au sommet de la tour (clocher) sans ma permission. J'ai fait la remarque le lendemain et le jeune est venu offrir ses excuses. »

On notera aussi ce passage où le recteur évoque l’exécution du résistant François Balès, boulanger au bourg : « Cette mort m'affecte beaucoup, car si nous avons de grandes divergences, ce jeune homme s'approchait de moi parce que ma loyauté l'attirait. ». Derrière la carapace on devine une humanité débordante qui sait se remettre en question.

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Extraits, transcriptions

Année 1941, travail de Fanch Ach (Arkae)

Le mercredi 29 janvier, par une radieuse journée, arrivaient péniblement au bourg d'Ergué-Gabéric en bicyclette deux abbés Guéguen : l'un doyen du Chapitre, l'autre nouveau recteur de la paroisse, transféré de Clohars-Fouesnant et succédant à Monsieur Neildé mort accidentellement le 11 janvier [1].

L'abbé Gustave Guéguen avait vainement cherché à Quimper chez les différents loueurs de taxi une voiture : le manque d'essence fit qu'aucun véhicule ne pouvait sortir et qu'en conséquence les deux cousins germains, en plein XXe siècle, durent venir de Quimper en si piteux équipage. En cours de route les deux cyclistes communiquaient leurs impressions sur la dureté des temps.

Le conseil paroissial se trouvait réuni au complet : Jean-Marie Nédélec de Saint-Joachim, René Riou de Tréodet, Pierre Tanguy de Kérellou (maire), Jérôme Quelven de Garsalec, Pierre Le Bihan d'Odet, Alain Le Roux de Mélennec, Pierre Le Roux de Kerfort.

Dans la salle à manger du presbytère, on procéda à la prise de possession telle qu'elle figure au registre des délibérations. On décida que le nouveau Recteur ferait son entrée le jeudi suivant 6 février à 15 heures, mais sans aucune solennité à cause des évènements.

6 février 1941. Au jour indiqué, le Recteur arriva à l'heure fixée, par le même moyen de locomotion, mais seul cette fois, ayant tout le loisir voulu en cours de route d'agiter dans son esprit des idées plutôt moroses. Fort peu de monde au bourg : l'arrivant trouva près de l'église quelques figures amies connues dans des postes précédents.

9 février 1941. L'installation officielle eut lieu le 9 février, présidée par M. le chanoine Pichon, curé de Saint-Corentin (…). Temps assez sombre mais pas trop froid. Inconcevable, cette quête !

Le dimanche 16 février : 5 F. comme offrande à toutes les messes !!! Inconcevable.

Le dimanche 23 février, annonce que désormais 3 plats circuleront dans l'assistance à toutes les messes (…). Il n'y eut pas de protestation, mais force d'inertie qui oblige à fermer les yeux pour les basses messes et à ne se contenter que de deux plats [2] ! Et ils s’amusent…

Dimanche 2 mars, pardon de Saint-Guénolé. Innovation : Vêpres à 16 h. Mauvais temps. M. Eon chante la messe. M. Guillou prêche. J'arrive pendant le sermon. Malgré le temps, nombreuse assistance aux Vêpres. Il est toutefois regrettable que certains jeunes gens et jeunes filles, au lieu d'assister aux offices, aient senti le besoin de se réunir trop nombreux dans les granges du voisinage pour des amusements qui ne sont vraiment pas de saison quand il y a tant de souffrances dans le monde. Des arriérés !

(La visite de sa paroisse par le nouveau recteur s’est déroulée sur plusieurs semaines. Il est accompagné dans ce porte-à-porte soit par un vicaire, soit par un fabricien).

Impression générale très défavorable : distances effrayantes, chemins impraticables; côtes incessantes et dangereuses, habitations mal tenues. Je m'attendais à trouver le Porzay [3].

Quelle déception ! Très arriérés au point de vue culture, manquant de savoir-vivre, ils sont bien moins sociables et bien moins hospitaliers qu'à Clohars [4]. Leur sauvagerie vient peut-être de leur timidité.

N.D. de Kerdevot à sa place, au-dessus de l’autel et du retable.

26 mars 1941. En l'absence de M. le Recteur, appelé d'urgence pour prêcher la retraite pascale des hommes au Passage-Lanriec, M. Eon vicaire a veillé sur le travail d'érection de la statue de Notre-Dame de Kerdévot au dessus du retable où elle se trouvait avant la réfection du grand vitrail par les Beaux-Arts. Ces Messieurs avaient placé le trône sur des tréteaux devant la balustrade du coté de l'épître. Le rétablissement du trône a été exécuté par des ouvriers d'Odet gracieusement prêtés par l'usine sous l'habile direction de M. Blanchard, contremaître. La population a été enchantée de voir la statue remise à son ancienne place [5].

Réforme du prix des chaises.

30 mars 1941. Dimanche de la Passion. Annonce en chaire de l'augmentation du prix de location des chaises : 20 centimes au lieu de 10, pour le dimanche suivant. Cette réforme a été acceptée sans aucune protestation. Le Recteur a regretté de n'avoir pas porté la taxe à 25 centimes, mais on parlait de la démonétisation probable des pièces de 25, bruit démenti officiellement le jour même où rentrait en vigueur le nouveau règlement [6].

Pardon « mud »

10 avril 1941. Jeudi Saint. A Kerdévot, à 18 heures, cérémonie pieuse et émouvante organisée par la JAC masculine et féminine d'Ergué. Départ du bourg vers 17 h. par petits groupes en silence. Les jeunes seuls ont récité alternativement les prières et les chants de l'Heure Sainte. Louis Lozachmeur de Kerous, employé de bureau à la préfecture pour les garçons, et Mlle Josèphe Cariou du bourg, élève de seconde du lycée de Quimper pour les filles. Chapelle pleine, attitude très pieuse. Peu d'hommes. Quelques jeunes gens arrivés en retard. Cette cérémonie devait avoir lieu la nuit, mais l'on a craint les représailles des "occupants" interdisant toute circulation à partir de 22 h. M. le Recteur, dans l'adieu final, a promis à Notre-Dame. que tous s'y retrouveraient si possible l'année suivante à pareil jour. (…)

Un pardon qui paie bien.

29 juin 1941. Pardon de Saint-Eloi - Saint-Jean à Kerdevot. On prétendait qu'il n'y avait qu'une douzaine de chevaux à peine. Or M. le Recteur en a compté 59 pendant qu'ils défilaient devant la chapelle après leur bénédiction avant la grand-messe. Résolution de donner à ce pardon plus d'extension si possible, car les offrandes sont intéressantes. Sans doute la réflexion semble cynique, mais c'est une question d'une importance singulière à l'époque que nous vivons. Pompes funèbres.

Début juillet, achat de tentures funèbres chez M. Paul de Quimper pour rehausser l'éclat des funérailles dont le tarif a été augmenté. Ces tentures sont arrivées début de septembre et elles ont servi la première fois pour l'enterrement solennel de Jeanne Bacon, veuve Rannou, de Ty Ru (Odet) le mercredi 29 octobre et pour les fêtes de la Toussaint. La population a été très agréablement surprise de voir tous ces décors pour la fête des Trépassés. Salle interdite.

13 juillet 1941. Séance récréative donnée par des acteurs en majeure partie jacistes dans la salle Balès en faveur des prisonniers de guerre. Cette salle, habituellement condamnée, a vu lever l'interdit par une grâce spéciale de Mgr Duparc uniquement pour ce motif et après intervention directe de M. le Recteur [7]. (…)

Du laisser-aller.

10 août 1941. Un abus tendit à s'introduire dans la paroisse au sujet des publications de bans. Les jeunes gens venaient seuls ; parfois même l'un d'entre eux seulement et en tenue négligée. L'on a averti que par respect pour le sacrement de mariage, on ne recevrait plus les candidats avec cette désinvolture et ce sans-gêne et qu'ils devraient désormais être toujours accompagnés de leurs parents ou du moins de l'un d'entre eux. La leçon a porté et les parents ont été fiers de voir qu'on leur redonnait la place qu'ils n'avaient su garder. (…)

Un pardon en temps de guerre.

14 septembre 1941. Pardon de Kerdévot. M. le Recteur a multiplié ses démarches à la Préfecture, à la Kommandantur, pour obtenir l'autorisation de circuler en auto le 14 septembre et prendre à Quimper ce jour là le doyen du chapitre, M. Guéguen et le curé-archiprêtre de St Corentin, M. Pichon. Il a conservé quelque espoir de réussite jusqu'au vendredi. Il a fallu alors se résigner à prendre ces hauts personnages en char à bancs !!!

Le pardon s'est ouvert comme d'habitude la veille au soir par le chant des Vêpres où il y avait fort peu de monde. Les confesseurs se sont trouvés réunis le samedi soir à la table de M. le Recteur : M. Kerbiriou, supérieur de l'école Saint-Charles à Kerfeunteun, M. Cauvel, professeur à Pont-Croix, M. Guilcher, vicaire à Elliant. Ces messieurs sont partis dès l'aurore pour les confessions qui ont été très nombreuses. Les « pardonneurs » sont arrivés fort peu de temps avant l'heure. Il y avait au chœur 15 soutanes. Célébrant : le doyen. Prédicateur : l'archiprêtre. Pardon très émouvant, très pieux. Les offrandes ont été très abondantes. Une seule ombre au tableau : les paroissiens ne suivent pas la procession, se contentant de la regarder et ne se signant pas au passage de la croix, toutes remarques qui ont été faites par les prêtres étrangers.

M. le Recteur à son départ de la chapelle, le dimanche vers 18 heures, a été hué par une bande de buveurs qu'il a mis à la raison par un mot d'esprit. Et ces messieurs d'Elliant, le même soir, en regagnant leurs pénates, ont été entrepris par une troupe de jeunes avinée chantant "l'Internationale" ; étant descendus de bicyclette, ils ont mis à la raison ces jeunes garnements, particulièrement l'abbé Marzin en exhibant ses titres de prisonnier de guerre libéré. (…).

Le lendemain, 15 septembre 1941. Le recteur et le vicaire sont allés à Kerdevot pour de nombreuses confessions paroissiales. M. le Recteur a donné un avertissement sévère à la tenancière de l'auberge qui désirait avoir "un casse-gueule" pour amuser la jeunesse et qui n'a eu qu'un innocent manège de chevaux de bois sans musique pour l'amusement des bébés. (…)

La J.A.C. reste autorisée.

26 octobre 1941. Fête de la jeunesse rurale à Kerdévot [8]. Toutes les paroisses environnantes ont été invitées : Ergué-Armel, Kerfeunteun, Saint-Yvi, Saint-Evarzec, Briec, Landudal, Elliant. La grand-messe annoncée à 10 h 30 n'a commencé qu'à 11 heures, chantée par M. le Recteur. Sermon par M. le chanoine Favé, sous-directeur des Œuvres, d'assez méchante humeur parce qu’aucun jeune homme de la paroisse n'avait assisté à une réunion des jours précédents à Quimper. Dîner à la sacristie. Séance d'étude à 13 heures sur l'organisation des loisirs à la campagne le dimanche.

Rien de précis dans la discussion et rien de prévu pour donner au dimanche sa signification de jour saint, consacré au Seigneur. Guère de franchise de la part des jeunes gens à mon avis. Vêpres. Jeux divers. Mot d'adieux de M. le Recteur. (…) Et encore…

Début Novembre. Rétablissement d'une messe régulière à Saint-Guénolé le 1er dimanche du mois à la grande joie de tout le quartier qui a témoigné sa reconnaissance par de généreuses offrandes.

Annonce que la messe du 1er vendredi du mois sera désormais célébrée pour les prisonniers et qu'on y ferait une quête pour l'honoraire de la messe, l'excédent devant servir à célébrer d'autres messes. Ce premier vendredi, il y a eu de nombreuses femmes de très loin et même quelques hommes.

Le 2 novembre, M. le Recteur a reçu du Secours National [9] la somme de 2000 Fr. pour la fondation d'une bibliothèque paroissiale : elle a commencé à prêter des livres d'abord aux jacistes le dimanche 16. Ont été nommées bibliothécaires : Melle Laurence Bihannic et Melle Louise Lennon du Bourg. Elles seront à la disposition des clientes le 1er dimanche du mois après les messes et le 3e dimanche après la réunion générale.



Année 1947, travail de Fanch Ach (Arkae)

25 février 1947

Je viens d'apprendre que ma lettre de protestation, adressée à la mairie au sujet de projet de route de "Carn ar Cosquer" traversant le jardin du presbytère n'a pas eu de succès. Depuis longtemps il était question de ce tracé. En novembre 46 l'ingénieur avait posé à travers la propriété les piquets de l'axe de la route qui abîme considérablement la propriété. Je n'avais rien dit mais ai consulté un autre ingénieur qui me dit que le plan de Mr GUILLAMET ne pouvait être modifié. Je comptais sur la résistance opiniâtre de certains conseillers municipaux n'acceptant pas le morcellement de cette propriété communale en particulier Mr Auguste Laurent de Kermoysan et Louis LE ROUX de Lezouanach. Voici le texte de ma lettre. »

"Monsieur le Maire, MM. les conseillers municipaux.

Je me permets d'attirer votre bienveillante attention sur les réflexions dont je vous fais part au sujet du tracé du chemin de "Carn ar Cosquer".

Juillet 1943, travail de Jean Guéguen

Jeudi 15 Juillet 1943. Ordre de réquisition des autorités allemandes d'occupation pour les écoles des religieuses du bourg et de celles de St Joseph et Ste Marie de Lestonan, ainsi que la salle de bal de chez Quéré (celle qui aujourd'hui sert de bar, à la grande salle).

Au bourg d'Ergué, le bruit courait d'une occupation imminente des écoles par suite de la visite des locaux, mais on ne s'émotionnait pas outre mesure, parce que déjà il y avait de semblables démarches, restées sans suite.

Le vendredi 16 juillet, au matin trois soldats allemands arrivent et exigent la livraison des locaux pour le samedi à midi. On avertit les gens de la campagne et aussitôt des charrettes viennent de Pennarun, St Joachim, Congallic, Lezergué etc. et l'on charge le bois, le charbon, les meubles etc. La population du bourg toute entière s'est montrée admirable de dévouement. Jusqu'à 23 h on a transporté au presbytère dans la cour, les objets les plus hétéroclites. Dans la matinée du samedi le clergé, les abbés ont mis un peu d'ordre dans ce capharnaüm, le samedi soir la cour était parfaitement dégagée, les lits des filles réfugiées brestoises sont dressés dans les mansardes nord avec 2 autres lits pour les maîtresses. La chambre dite épiscopale occupée par 2 religieuses, la bonne du couvent partage la chambre de la "karabassen". Dès le dimanche 18, les 2 installations différentes sont achevées et chacun vivra sous le même toit de sa vie propre dans l'entente la plus cordiale.

Jeudi 11 novembre 1943

Ce jeudi la population du bourg est ameutée par l'apparition de deux ballons de barrage ayant rompu leurs amarres et qui semblaient venir de Brest. Vers 14 h 30 l'un d'eux est tombé dans le cimetière à proximité de la croix, du côté du caveau Bolloré, l'autre auquel il demeurait fixé tenait toujours en l'air au dessus de la vallée à une cinquantaine de mètres. La population s'est portée toute entière pour contempler ... le blessé. Les garçons des fermes avoisinantes le dépeçaient à qui mieux mieux. Le Recteur les a avertis du danger couru de la part des occupants qui devaient être prévenus. La crainte a saisi l'assistance, qui s'est rapidement dispersée. On a poussé le ... cadavre au fond du cimetière. Des gens sont venus du Petit Ergué, de l'Eau Blanche, et le soir il ne restait plus qu'une carcasse lamentablement dépouillée. Durant la nuit, celui que l'on avait vainement tenté de descendre à la main, a été amené à terre et il n'en est rien resté.

Les occupants sont venus le lendemain et se sont contentés de la carcasse ! J'admire leur indifférence ou leur naïveté. On leur a fait croire que le 2e s'était envolé pendant la nuit. Le bourg craignant à juste titre des représailles s'est trouvé soulagé le samedi au départ des ... restes funèbres (!!!).



Août 1944, travail de Jean Guéguen

1944. 28 mai. 6 juin. Retraite adoration au bourg.

Le lundi 6 juin, messe de communion des hommes, à l'issue de laquelle l'on a appris le débarquement Anglais, dans le Nord à Caen, le soir on a été mieux fixé.

Le 25 juin, un jeune réfugié de Lorient, Jacques Le Mouël a été affreusement blessé par une grenade au Rouillen, à quelques mètres plus bas que la maison André, sur la route de Squividan. Diverses versions. 1) Il s'amusait avec cette grenade avec d'autres compagnons comme avec une balle. 2) Il a voulu éviter que de jeunes enfants la touchent (???). En fait, il a eu la main emportée, les poumons perforés, transporté à l'hôpital, on lui a amputé la main, sans l'endormir, il est mort le lundi à 13 h et a été enterré le lendemain.

Le jeudi 4 août, un train a déraillé sur la voie à 50 mètres en aval de la station signalétique, plusieurs wagons étaient remplis de petits morceaux de bois bien sec pour gazogène. Dès le soir et toute la matinée du lendemain, des brouettes, des charrettes à bras, de grosses charrettes sillonnaient les prairies environnantes pour prendre leur part de butin et, sous une chaleur tropicale, transportent à domicile la provision hivernale. Pour l'honneur de l'humanité l'on eût souhaité que les riches laissent aux pauvres le soin de profiter de l'aubaine. Hélas ! l'humanité n'est pas belle.

Vendredi 4 août 1944.

Le vendredi dans la soirée, le bourg est en émoi par l'arrivée de la résistance. Des moteurs ronflent, des camions et des autos descendent de nombreux jeunes gens armés de fusils et de fusils mitrailleurs. Ils escomptent prendre Quimper la nuit ou le lendemain !!! Ces troupes pleines d'enthousiasme et délirantes ne sont ni aguerries, ni disciplinées, et pour ma part j'éprouve un sentiment pénible de penser que le salut de la France est entre les mains de pareils écervelés. L'enthousiasme gagne la population et deux cafés arborent les 3 couleurs, ce qui leur vaut de faire d'excellentes affaires. Comédie humaine !

Vers 17h, remue-ménage, cris de joie, embrassades innombrables, le chef de groupe Le Viol de Kerfeunteun, emprisonné à St Charles depuis 10 jours, arrive au bourg prendre la direction de sa section. Ces transports de joie sont trouvés excessifs et l'on juge sévèrement les demoiselles trop prodigues de leurs baisers.

Au crépuscule arrivent de Quimper 2 sections se dirigeant vers Langolen et fort disciplinées celles-ci, elles donnent vraiment une impression de sécurité. L'ordre est donné de ne rien tenter sur Quimper et j'en suis fort aise. Malgré cela, des audacieux du bourg vont en ville le nuit aider des camarades en détresse et dépourvus de munitions, ils peuvent faire leur voyage sans blessures, mais leur auto est criblée de balles.

Le samedi matin, la fusillade est nourrie dans la vallée du Jet. Le bruit court que la cathédrale est en feu, en réalité c'est la Préfecture qui brûle, on ne saura probablement jamais pourquoi. Les drapeaux disparaissent des fenêtres, les panneaux sont mis aux devantures et le bourg reprend son aspect habituel. J'admire la bravoure et la prudence de mes paroissiens.

À midi fausse alerte, heureusement ; on prétend que les allemands encerclent le bourg et l'on entend une rafale de fusil mitrailleur, en fait c'est un exercice de tir, et cela a glacé tout le monde d'effroi.

Nuit du samedi au dimanche très calme. Dimanche 6 août, vers 16 h arrivent les sections de Langolen et celles de Quimper vues le vendredi. Elles prennent possession du bourg, on poste des fusils mitrailleurs au bord des trous creusés par ordre des allemands pour leur défense. Le chanoine Grill qui se met bénévolement à la disposition des troupes est logé au presbytère. Le soir vers 20 h arrivent des prisonniers allemands et 2 quimpéroises qui leur ont été trop aimables. Le bourg est au complet devant l'école publique des filles où on les a rassemblés. Les femmes sont désolées qu'on ne leur fait pas faire le tour du bourg. Le soir on circule très tard en commentant les évènements.

Le lundi 7 août à la fin de la matinée fusillade nourrie semblant venir du sommet de la colline, en fait de l'Eau Blanche. On veut empêcher les allemands 4 ou 500 de sortir de Quimper, l'aumônier est allé sur les lieux. Dans l'après-midi les nôtres ont tué 12 boches, un des nôtres a une égratignure à l'oreille. On est venu au presbytère demander une chambre pour le capitaine Espern de Trégourez, capitaine d'artillerie dans l'active. Vers 19 h sont arrivés 60 prisonniers Todt [10], de très nombreux avions ont sillonné le ciel, surtout l'après-midi, quelques uns très bas. À 23h il y a eu des bruits de bombes.

Mardi 8 août. Le matin ai été au P.C. du Rouillen (à l'abattoir Mercier) pour une mission qui n'a pas réussi. Le commandant Bertrand n'a rien d'un militaire extérieurement. Aperçu une demoiselle qui a été deux années en Angleterre et qui a été parachutée depuis six mois comme instructrice du déboulonnage des voies ferrées. Un scout a hissé le drapeau au sommet de la tour (clocher) sans ma permission. J'ai fait la remarque le lendemain et le jeune est venu offrir ses excuses.

Le soir tard, j'ai appris que la section du bourg a bousillé 5 camions allemands, s'enfuyant vers Brest par la route de Briec, le groupe de Briec a eu 5 morts, ceux enfuis par la route de Locronan ont pu s'échapper. Discussion vive au sujet du sort que l'on fait aux prisonniers, qu'il ne faut pas achever.

Dans la journée du 8 août, en fin de matinée, les allemands venant de Concarneau prennent en otage Jean Louis Le Meur de Kervernic âgé de 37 ans. Ils l'obligent à marcher devant leur colonne, parvenus à l'intersection de la rue de Kergoat-al-lez, les soldats l'abattent, déchirent sa carte d'identité et en dispersent les morceaux.

Mercredi 9 août. Prise d'armes à Quimper près du monument aux morts. Le Directeur du ravitaillement et le commissaire de police sont désignés, le nouveau préfet est attendu.

J'ai mangé au mess des officiers avec le capitaine Espern et le lieutenant Fer. Le capitaine n'est arrivé qu'à la fin du repas avec le docteur de l'asile.

Jeudi 10 août. Les prisonniers et ceux de Todt [10] sont partis, ceux-ci à Pluguffan, les autres à Guengat. Le capitaine Espern a libéré sa chambre.

Samedi 12 août à 3 heures du matin, tout le monde a été réveillé par suite d'une canonnade intense dans les parages de Penmarc'h, cela a duré une bonne heure.

Mercredi 30 août. Dans la soirée Mr le Recteur apprend la mort à l'ennemi de François Balès du bourg qui avait pris le maquis depuis plus de 2 ans, avait accompli des missions périlleuses et avait si courageusement lutté sur la route de Brest pour empêcher les allemands de gagner cette ville. Cette mort m'affecte beaucoup, car si nous avons de grandes divergences, ce jeune homme s'approchait de moi parce que ma loyauté l'attirait. Depuis sa mort, j'ai appris que c'était une riche nature, mais très fermée. Cela confirme l'appréciation de ses camarades remplis pour lui d'admiration, à cause de sa loyauté, de son dévouement, de sa bravoure. Dieu aura tenu compte de tous ces sacrifices et de la richesse de cette nature ignorée. Le fait est qu'il est mort en patrouille de corps francs à la recherche d'un camarade qui ne revenait pas. Il a reçu une décharge dans le ventre et est tombé en prononçant ces paroles "Je suis mort" dans une carrière sur les bords de la route de St Nic à Menez-Hom. Le corps hospitalisé à Brizeux a été ramené dans sa famille au bourg le mercredi soir. L'enterrement a été célébré le jeudi à 16h, l'église était remplie d'une foule immense émue et recueuillie. Les FFI [11] encadraient le catafalque et faisaient une haie d'honneur entre l'église et le cimetière. Mr le Recteur a adressé à la famille et à l'assistance émue quelques mots. Une salve d'honneur fut tirée au cimetière avant l'inhumation.

Dimanche 3 septembre.

Ce dimanche de 8 à 10h nous avons assisté au passage d'environ 500 bombardiers Américains se dirigeant vers Brest par vagues de 13 appareils se succédant à 5 minutes d'intervalle environ. Le surlendemain j'apprendrai à Pluguffan par un témoin oculaire, l'abbé Derrien de Crozon la destruction totale du bourg de Telgruc. Nous aurons une victime à déplorer de ce bombardement. En effet le soir nous apprenons la mort de Yves Benoit de Ti-Nevez-Kernaou qui portait le drapeau de sa section aux obsèques de son camarade François Balès. Ce jeune homme a trouvé la mort avec 10 de ses camarades de Quimper, aux environs de Telgruc par suite d'une avance trop rapide de 13 km qui n'a pas été signalée à temps aux Américains ou peut-être par une hâte téméraire d'agir par aux-mêmes avant l'arrivée de l'aviation en retard de 36 heures.

Il a été inhumé le mercredi 6 septembre. Ses parents ayant voulu garder son corps et ne pas la laisser à la cérémonie émouvante et grandiose de Quimper dans l'après-midi de ce jour à la cathédrale. Les onsèques furent suivies d'une foule aussi nombreuse et aussi recueillie que le vendredi précédent. Il y eut le même cérémonial que pour François et même allocution au cimetière.

Dimanche 5 novembre. Pardon de St Guinal et service pour les morts des deux guerres. Pour le service une innovation sensationnelle : dix soldats en armes montaient la garde d'honneur autour du catafalque pendant le service. Pendant la messe, à l'élévation au choeur ils ont présenté les armes. Cette grand messe fut chantée par Mr l'abbé Corre lieutenant FFI [11]. Sermon breton par l'abbé Pavec aumônier FFI [11], qui a également donné une brève allocution bien émouvante au monument aux morts avant l'absoute.

Sources des transcriptions




Annotations

  1. L’Abbé Pierre Neildé, originaire du Juch, avait été nommé recteur d’Ergué-Gabéric en 1938. Il y est décédé le 7 janvier 1941, à l’âge de 57 ans, après deux ans et quelques mois de présence. « Toujours à son devoir, c’est en se pressant de rentrer d’une visite à son frère malade, pour faire son catéchisme, qu’il a été terrassé d’une hémorragie cérébrale, le lundi, vers midi. Malgré tous les soins, M. Neildé expirait le mardi matin, vers cinq heures » (Semaine Religieuse de Quimper et Léon, 31 janvier 1941).
  2. Ainsi, le recteur n’aurait pas réussi à se faire obéir, du moins pour les « basses messes ».
  3. L’Abbé Guéguen est originaire de Locronan, et le Porzay était considéré dans le clergé comme faisant partie, comme le Léon, des « gras pâturages » attribués en fin de carrière aux prêtres méritants.
  4. L’Abbé Guéguen était précédemment, depuis 1937, recteur de Clohars-Fouesnant.
  5. Telle était la configuration historique de l’ensemble autel-retable-trône de la Vierge. C’est en septembre-octobre 1944 que l’Abbé Guéguen, sous le contrôle de l’inspecteur départemental des Beaux-Arts, dispersera ces éléments, le retable étant transféré au fond de la chapelle, contre le mur Nord, et la statue de N.D. de Kerdevot sur son trône, en appui contre un pilier de la travée Nord, face à l’entrée Sud.
  6. Sous l’Occupation allemande, ces petites pièces de monnaie, qui contenaient des métaux stratégiques pour l’armement (nickel, cupronickel…) furent démonétisées en 1941 et 1942, c’est-à-dire mises hors circuit monétaire, pour être récupérées par les Allemands et servir dans leurs industries d’armement. Elles furent remplacées par des pièces en zinc. La démonétisation de la pièce de 25 centimes, d’abord annoncée pour le 1er avril 1941, n’a eu lieu que plus tard.
  7. Depuis une dizaine d’années (voir Semaine Religieuse du 18 mars 1932 : « Directives au sujet des danses »), Mgr Duparc avait engagé son clergé dans une campagne de proscription des salles de bal, « véritables écoles de corruption », de leurs tenanciers et de leurs enfants, « pécheurs publics et traités comme tels », c’est-à-dire privés des sacrements de l’Eglise, des danseurs et danseuses, des musiciens… Ainsi, plusieurs salles de danses se trouvaient « interdites » à Ergué-Gabéric, dont celle tenue par la famille Balès au Bourg.
  8. Le régime de Pétain voulait, en créant par la loi du 15 juillet 1940 un Secrétariat Général de la Jeunesse, « coordonner et contrôler l’action éducative des différents mouvements de jeunesse », avec comme objectif de couler les jeunes dans le moule de la Révolution Nationale. L’Église de France résista à une trop forte absorption de ses mouvements de jeunes par l’Etat. Ainsi, la J.A.C. et la J.A.C.F. purent poursuivre leurs activités ; l’encadrement assuré par les autorités religieuses garantissait que ces mouvements ne s'occuperaient pas de ce qui ne les regardait pas. C’est ainsi que la J.A.C. continua à prospérer pendant la guerre.
  9. La loi du 4 octobre 1940 attribuait au Secours National un rôle bien plus large que celui d’assistance aux soldats mobilisés (colis, courrier…) : Pétain en faisait un organisme d’Etat chargé d’habiliter, de coordonner et de contrôler toutes les œuvres privées, les initiatives d’assistance, que ce soit auprès des soldats prisonniers, de leurs familles, des réfugiés, des victimes des bombardements anglais, etc. « Le Secours National est seul qualifié pour formuler des appels publics à la générosité et recevoir des subventions de l’Etat ou des diverses collectivités publiques ». Les maires ne peuvent autoriser que les quêtes qui ont l’aval du Secours National, et il n’y a de subvention ou d’aide que par le canal du Secours National.
  10. 10,0 et 10,1 L’Organisation Todt était en charges des opérations de de génie civil et militaire du Troisième Reich pendant la seconde guerre mondiale. Elle portait le nom de celui qui a été son fondateur et son dirigeant jusqu'en 1942, Fritz Todt, un ingénieur et une figure importante du nazisme.
  11. 11,0 11,1 et 11,2 FFI, à savoir les Forces françaises de l'Intérieur, est le Nom donné, en 1944, par le Comité français de libération nationale, à l'ensemble des formations militaires des mouvements de résistance.



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Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Création : septembre 2022    Màj : 10.09.2023