LAVASSEUR Yolande - Une parution inattendue

De GrandTerrier

Couverture
LAVASSEUR (Yolande), « Note de lecture - Une parution inattendue », dans Cahier du mouvement ouvrier n° 9, CERMTRI, Paris, 2
Titre : Note de lecture - Une parution inattendue
Auteur : LAVASSEUR Yolande Type : Article
Edition : CERMTRI Publication : Cahier du mouvement ouvrier n° 9
Impression : Paris Année : mars 2000
Pages : 2 Référence : -

Tiré à part :


Notice Bibliographique

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « Jean-Marie Déguignet et la lutte des classes au XIXe siècle » ¤ « Déguignet face aux machines de la papeterie Bolloré à la fin du XIXe » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

Dans cet article écrit en mars 2000, l'auteure s'étonne tout d'abord du fait que, dans la première édition sous la direction de Bernez Rouz, des passages « n'ont pas été retenus », l'ensemble de ses réflexions présentant « un danger » potentiel par ses dénonciations des injustices sociales de son époque, lesquelles semblent toujours d'actualité aujourd'hui. À noter que, sous l'initiative de Laurent Quevilly, le découvreur de ces cahiers, la seconde édition intégrale parue en 2001 donne sans doute plus de crédit à cette analyse.

Au-delà des critiques à l'encontre des corps religieux, des bretonnants rétrogrades et des militaires, l'article s'attarde sur la description de la mécanisation industrielle des papeteries Bolloré en cette fin de XIXe siècle.

Extraits, Transcriptions

Extrait bien résumé par Jean-Marie Déguignet :

« Une nouvelle machine est arrivée l'autre jour du Creusot. Elle fait à elle seule l'ouvrage de dix ouvriers et, par conséquent, le patron a mis dix ouvriers dehors. Et ce n'est pas fini, il en viendra d'autres, jusqu'à ce que tous les ouvriers soient remplacés par des machines. On entend quelques soi-disant économistes, dont toutes les économies viennent de ces machines, dire du fond de leurs cabinets que ces machines pourraient bien devenir un danger, mais qu'on ne peut pas arrêter l'essor du génie ... Mais ce génie va à l'encontre du but vers lequel il devrait tendre, c'est-à-dire à égaliser un peu le bonheur en ce monde entre tous les individus, tandis qu'il tend au contraire à accabler de richesses et bonheur quelques privilégiés seulement, en en éloignant de plus en plus des millions de malheureux. ».

Et la journaliste de conclure au nom du C.E.R.M.T.R.I. (Centre d'Etudes et de Recherches sur les Mouvements Trotskystes et Révolutionnaires Internationaux) : « En effet, ce livre est bien dangereux. Il l'est pour tous les tenants du consensus général, du politiquement correct. »

Retranscription

Page 145

Une parution inattendue Les Mémoires d'un paysan bas-breton [1], parus fin 1999, étonnent à plus d'un titre. Ce livre a été présenté dans la presse et à la radio, et a retenu l'attention d'un large public. Dans son introduction, Bernez Rouz considère ces mémoires comme "un document unique sur la société rurale bretonne du XJXe siècle". Parlant de Jean-Marie Déguignet, il indique que son "parti pris anticlérical est cependant dérangeant, ses arguments et ses anathèmes prêteraient, affirme-t-il, aujourd'hui à sourire". Il ajoute que Jean-Marie Déguignet est un pourfendeur du conservatisme, de la routine, qu'il est sensible aux thèses anarchistes et révolutionnaires, républicain et libre penseur.

Il précise également que certains passage du manuscrit "n'ont pas été retenus" (sic ! )  : digressions, commentaires antireligieux sur la vie de Jésus, lettres "délirantes" à des personnalités.

Pourquoi tant de précautions oratoires ? Ces mémoires, qui se lisent comme un roman d'aventures, présenteraient-ils un danger ? Plus que le personnage lui-même, à l'ego démesuré et qui, lorsqu'il écrit, à la fin de sa vie, est à n'en pas douter paranoïaque, qui fut tour à tour mendiant, soldat, cultivateur, qui pratiquait, à l'en croire, plusieurs langues ; plus que ses aventures hors du commun, qui le mènent de la Crimée en Italie, de la Kabylie au Mexique, ce sont les problèmes auxquels il se trouve confronté et les réflexions qu'il nous livre qui résonnent d'un extraordinaire écho aujourd'hui.

Ces quelques citations, entre autres, ne nous renvoient-elles pas au présent ?

En 1902, le gouvernement anticlérical d'Emile Combes décide l'expulsion des congrégations religieuses et l'interdiction de l'usage du breton dans les églises. Déguignet écrit à propos de l'expulsion des sœurs du Saint-Esprit, qui dirigent l'école des filles :

"L'évêque de Quimper et de Léon, qui ne sait pas un mot de tous ces vieux idiomes barbares, se met en quatre pour les défendre. Oh, je sais bien que ce n'est pas uniquement pour défendre une vieille langue qu'il ne connaît pas, que ce vieux crossé et mitré se démène ainsi. C'est parce qu'il sait bien que tant que les Bretons conserveront leurs divers charabias, ils ne pourront guère avancer dans la lumière, cette lumière que ces charlatans noirs veulent toujours cacher au populo."

À propos de l'Union régionaliste bretonne : tant que les Bretons ne "pourront lire que des livres bretons, qui ne sont que des livres religieux, ceux-ci resteront dans l'abrutissement et dans l'imbécillité, c'est-à-dire dans les meilleures conditions possibles pour être exploités sur toutes les coutures".

Au cours de ses campagnes en Italie, en Kabylie et au Mexique, Déguignet souligne la bêtise, la cupidité des dirigeants militaires et politiques. Sébastopol, la guerre de Crimée, la description des tranchées, les blessés, les assauts et les morts inutiles :

"J'entendis le capitaine tempester : toujours les mêmes sottises, les mêmes stupidités. On veut que nous soyons tous massacrés ici jusqu'au dernier. Qu'est-ce que nous faisons ici, exposés plus que les autres à la mort, à une mort stupide ? "

Page 146

"Pélissier a enfin l'honneur de prendre, non Sébastopol, mais ses ruines, que les Russes comptaient abandonner du reste prochainement, estimant que c'était stupide de rester là se faire tuer sur ces tristes ruines. "

Depuis 1861, la famille Bolloré détenait le moulin à papier d'Odet et y employait 200 ouvriers avant la guerre de 1914. Déguignet écrit :

"Une nouvelle machine est arrivée l'autre jour du Creusot. Elle fait à elle seule l'ouvrage de dix ouvriers et, par conséquent, le patron a mis dix ouvriers dehors. Et ce n'est pas fini, il en viendra d'autres, jusqu'à ce que tous les ouvriers soient remplacés par des machines.

On entend quelques soi-disant économistes, dont toutes les économies viennent de ces machines, dire du fond de leurs cabinets que ces machines pourraient bien devenir un danger, mais qu'on ne peut pas arrêter l'essor du génie ...

Mais ce génie va à l'encontre du but vers lequel il devrait tendre, c'est-à-dire à égaliser un peu le bonheur en ce monde entre tous les individus, tandis qu'il tend au contraire à accabler de richesses et bonheur quelques privilégiés seulement, en en éloignant de plus en plus des millions de malheureux. "

En effet, ce livre est bien dangereux. Il l'est pour tous les tenants du consensus général, du politiquement correct. Il nous montre un homme qui, quelles que soient les circonstances, reste debout, parce qu'il pense, exerce son libre arbitre et fait preuve d'une exceptionnelle clairvoyance.

Une dernière citation peut, à elle seule, faire le portrait de Jean-Marie Déguignet et nous amener à lire ses mémoires :

"En politique, je suis un républicain des plus avancés, et en religion, libre penseur, philosophe ami de l'humanité, de la vraie, et ennemi déclaré de tous les dieux, qui sont des êtres imaginaires, et des prêtres, qui ne sont que des charlatans et des fripons. "

Yolande Levasseur

Annotations

  1. Jean-Marie Déguignet (1834-1905), Mémoires d'un paysan bas-breton, édition établie par Bernez Rouz- An Here- 29480 Ar Releg-Kerhuon, 120 F.



Tamponsmall2.jpg
Thème de l'article : Fiche bibliographique d'un livre ou article couvrant un aspect du passé d'Ergué-Gabéric Création : Décembre 2021    Màj : 23.09.2023