La plaque inaugurale de la manufacture de papiers d'Odet en 1822

De GrandTerrier

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Qui étaient donc les vrais fondateurs de cette papeterie dont on posa la première pierre le 19 février 1822 ?

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La réponse est précisément dans le texte de la plaque inaugurale de plomb qui était placée naguère à l'entrée de l'usine, oubliée dans un débarras pendant de nombreuses années et exposée maintenant dans le musée du bicentenaire du manoir d'Odet.

Nous basant sur le texte originel, on constate que les fondateurs de 1822 étaient au nombre de trois : un entrepreneur d'origine normande, Nicolas Le Marié, un mécanicien anglais, Thomas Doidge, et un maitre-maçon morbihanais, Jean-Marie Josset. Comme l'indique le paragraphe final de la plaque, le père de Nicolas Le Marié et son beau-frère Jean-Guillaume Bolloré lui prodigueront une aide et des conseils.

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La vraie plaque

Le texte de cette plaque fit l'objet d'une toute première mention en 1922 dans une publication intitulée « Papeteries d'Odet, discours des Fêtes du Centenaire (1822-1922) » prononcé par l'abbé André-Fouet : « Le 19 février an 1822. Nicolas Le Marié de Quimper a posé la première pierre de cet établissement qui a été fondé par lui sous la direction de Doidge mécanicien anglais, natif de Mevagissey, province de Cornouaille et par Jean-Marie Josset, ex-maître maçon de la Régie des vivres du grand quartier général des armées de Napoléon Ier. François Le Marié père et Guillaume Bolloré ont aussi contribué, par leurs conseils, à la création de cet établissement.  ».

Après la signature de l'entreprise (J. Feillet) qui réalisa la plaque en plomb, un NOTA complémentaire est gravé sur la plaque : « François Le Marié père et Guillaume Bolloré ont aussi contribué, par leurs conseils, à la création de cet établissement ».

Le texte gravé et transcrit est très clair : Nicolas Le Marié, l'ami des papetiers d'Annonay (Ardèche) [1] [2], est bien le vrai créateur et fondateur de la manufacture de papiers d'Odet, assisté d'un ingénieur mécanicien et d'un maitre-maçon.

La première falsification documentaire se produisit en 1930 dans le « Livre d'or des papeteries » édité par René Bolloré qui introduisit un pluriel dans la première phrase : « Nicolas Le Marié et R.-G. Bolloré, de Quimper ont posé la première pierre de cet établissement qui a été fondé sous la direction de M. Doidge ... ». Comme s'il était devenu impératif d'accoler le nom de Bolloré à la fondation pour redorer l'image d'entreprise familiale.

À partir de là, deux versions ont été reprises dans les biographies et ouvrages savants. Quand, en 1979, Gwenaël Bolloré publie et introduit les récits de « voyages en Chine et autres lieux » de son arrière grand-père Jean-René, il insère la vraie transcription de 1922. Il s'en rappelle : « comme le montre le texte que l'on pouvait livre sur une plaque de plomb naguère placée à l'entrée de l'usine » (page 27). Manifestement rangée dans une remise du moulin de Meil-Mougueric, elle a été replacée dans le musée de commémoration du bicentenaire.

Dans certaines biographies plus récentes [3], on retrouve encore la fausse transcription de 1930 qui voudrait renforcer l'idée d'une présence liminaire des Bolloré à la création de la manufacture d'Odet.

 
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Les ingénieurs

La formule « a été fondé par lui » laisse à penser que la plaque fut créée du vivant de Le Marié, voire même avant son accident en 1861. Et c'est d'autant plus vraisemblable qu'il contient ensuite un vibrant hommage à ses deux principaux collaborateurs des premières années qui l'ont aidé à construire l'usine.

Le premier d'entre eux est anglais. Thomas Doidge est né en 1794 à Mevagissey en Cornouailles britanniques. Il restera au moulin d'Odet avec son épouse Mary Williams au moins jusqu'en 1827. Les naissances de deux enfants sont déclarées en 1825 et 1827 dans les registres d'état-civil de la commune d'Ergué-Gabéric. Le mécanicien ne connaitra sans doute pas l'arrivée des machines d'Annonay en 1834. Par contre, dès 1822, il était en charge de la technique des piles et cylindre pour la préparation de la pâte à papier.

Jean-Marie Josset est né le 26/03/1788 à Guillac dans le Morbihan. Il sera Maître Maçon de la Régie de Vivres du Grand Quartier Général des Armées de Napoléon 1er. Il sera chargé de construire les premiers bâtiments de l'usine à papier. Par contre il ne s’établira pas à Odet, car dès 1823-25 il doit restaurer et reconstruire la partie nord de la nef et la partie sud de l'église paroissiale Saint-Pierre de la commune de Plérin-sur-Mer.

 
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La belle famille

Quand et comment la famille Bolloré s'est-elles impliquée dans la marche de l'entreprise de Nicolas Le Marié ? A priori pas avant la fin des années 1850.

Le premier d'entre eux est certes Jean Guillaume Bolloré, beau-frère de Nicolas. En effet la sœur de ce dernier, Marie-Pauline, s'est mariée en 1819 en secondes noces avec Guillaume Bolloré. Jean-Guillaume est négociant et directeur d'une fabrique de chapeaux à Quimper-Locmaria où il a jusqu'à 25 ouvriers. En 1816, avec sa première femme, il met en nourrice une enfant à Kerurvois-Bas-Ergué en Ergué-Gabéric. A noter que Kerurvois est moins proche d'Odet que de Quimper où il réside. En 1836 il n'est toujours pas domicilié sur Ergué-Gabéric, alors qu'en 1838 il déclare y habiter [4].

Dans les archives de la papeterie on ne trouve pas de traces d'activité des Bolloré pendant toutes les années actives de Nicolas Le Marié. Ce dernier est le maitre à bord. En 1856 le maire écrit encore : « Comme monsieur Le Marié est absent depuis plusieurs jours, il m'a été impossible jusquici de vous faire parvenir les renseignements ...  ».

 

Par contre en 1859 dans un document de demande de construction d'un pont à Odet [5], à côté de la signature du maire, de celle de Nicolas Le Marié, on trouve la griffe de "Bolloré ainé" qui n'est autre que le beau-frère Jean Guillaume.

Dès lors, et surtout après la chute de Nicolas Le Marié en 1861 et la réduction de ses facultés intellectuelles, les Bolloré vont prendre plus d'importance dans la vie de l'entreprise. Jean Guillaume qui a 73 ans en 1861, va passer la main à Jean-René Bolloré qui est à la fois son gendre et son neveu. En effet Jean-René, médecin chirurgien de la marine, est fils de René-Corentin , le frère de Jean-Guillaume, et il a épousé en 1847, Eliza Bolloré, sa cousine germaine et fille de Jean-Guillaume.

L'entreprise passe à cette date, en 1861, dans les mains de 5 générations successives de Bolloré.

Manufacture à cylindre

Sur la plage inaugurale il est précisé que la papeterie d'Odet est la 3e manufacture de papiers à cylindre établie en Bretagne. Que représente précisément la technologie du cylindre ? Quelles sont les deux autres manufactures bretonnes ?

Le cylindre est en l’occurrence le cylindre en fonte placé au fond d'une cuve et muni de lames transversale. Ce système de pile défileuse fut un grand progrès dans la fabrication du papier car il permettait de raffiner le chiffon en une dizaine d'heures, alors que le défibrage à l'aide de piles à maillet nécessitait 30 à 40 heures. Avec les piles à cylindre on pouvait produire beaucoup de pâte, et donc plus de papier.

Les cylindres ou rouleaux sécheurs seront également intégrés dans les machines à papier qui arriveront plus tard. Nicolas Le Marié achètera sa première machine des usine d'Annonay, ville des papetiers Montgolfier [2]. Ce système de toile et rouleaux remplacera définitivement le travail à la cuve et le séchage aux perches.

 

Nous ne savons pas exactement quels sont les deux sites papetiers qui ont adopté les piles à cylindres avant Le Marié à Odet en 1822.

Eliminons d'abord les sites qui sont plus récents : Belle-Isle-sur-Terre (usine à papier Vallée créé en 1855), Cascadec en Scaër (fondé en 1830), Kerisole en Quimperlé (développé par les Mauduit à partir de 1855).

Les grands sites susceptibles d'âtre caractérisés de manufacture à cylindre avant 1822 sont les moulins de Quintin dans les Cotes-du-Nord (en 1828 ils consomment 65 tonnes de chiffons pour 3000 rames par an), la papeterie de La Meaugon (en 1844 ils produisent 1900 rames avec 35 tonnes de chiffons), et celle du Cosquer (en 1812 ils produisent 2600 rames avec 40 tonnes de chiffon). A titre de comparaison, à Odet, en 1828, avec 90 tonnes de chiffons on fabricait 3456 rames de papier blanc et 4218 rames de papiers gris [6].

Annotations

  1. L'abbé André-Fouët écrit en 1922 dans son discours des Fêtes du Centenaire (page 4) : « À un moment, il était regardé comme l'un des plus fins papetiers de France, presque l'égal de ses amis, les Montgolfier  ». Abbé André-Fouët, 1922
  2. 2,0 et 2,1 Les deux frères Pierre et Etienne Montgolfier sont célèbres pour avoir mis au point la montgolfière avec laquelle ils firent leurs premières ascensions en 1782-83. Leur père était un fabricant de papier de Vidalon-lès-Annonay en Ardèche, dont la manufacture familiale est réputée dans toute l'Europe. Le plus jeune frère Étienne se consacrera à l'entreprise familiale de Vidalon, dont il devient propriétaire en 1787. Il introduisit en France les procédés hollandais dans le domaine de la papeterie ainsi que la fabrication du papier vélin. En 1801, c’est son gendre Barthélemy Barou de la Lombardière de Canson, qui lui succède, donnant ainsi à la lignée papetière le nom sous lequel elle passera à la postérité. Les autres frères d'Etienne restent dans l'activité papetière dans le secteur d'Annonay, et c'est sans doute avec Jean-Baptiste et son beau-frère Elie détenant respectivement les moulins à papier de St-Marcel et de Grosberty que Nicolas Le Marié se lia d'amitié dans les années 1822-34. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Montgolfier » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  3. Voir par exemple BOTHOREL (Jean), Vincent Bolloré, une histoire de famille [De l'usine de papier d'Ergué-Gabéric en 1822 au tycoon du XXIe siècle], Jean Picollec, Gémenos, 2007, ISBN 2-86477-229-9
  4. Cf Inventaire fait à Douanenez des époux René-Corentin Bolloré et Marie-Anne Rochedreux, document cité et transcrit par Gwenaël Bolloré dans le livre « BOLLORÉ Jean-René - Voyages en Chine et autres lieux ».
  5. Cf document « 1859 - Construction du pont entre Odet et Briec ».
  6. Cf document « 1825-1860 - Relevés de production de la papeterie d'Odet ».



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Thème de l'article : Richesses du patrimoine Création : janvier 2010    Màj : 7.11.2023