Lanig Chiquet raconte ...

De GrandTerrier

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Le 28 novembre 1986 paraissait dans le bulletin municipal de juin 2009 les souvenirs de Lanig Chiquet sur la période de la fin de la guerre 1939-45.

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Autres lectures : « 1889 - Les mariés René Chiquet et Marie Jeanne Jaouen » ¤ « 1917 - Les mariés Louis Le Dé et Catherine Chiquet » ¤ « Jean-Marie Chiquet (1894-1916), soldat du 411 RI  » ¤ 

Texte de l'interview

Des Réfugiés du Nord

Je me souviens avoir vu des réfugiés, qui venaient du département du Nord, et qui ont séjourné pendant probablement un mois à Lost’klidi (en Garsalec) chez Quelven.

C’était en juin 1940. J’avais 19 ans, et je travaillais à la ferme de Louis Quelven comme journalier. Louis Quelven était prisonnier en Allemagne, comme d’ailleurs ses deux frères Alain et Jérôme. Sa femme, Marie, qui avait une petite fille, devait diriger le restaurant-bistrot- salle de bal qu’ils tenaient au bord de la route de Coray. Heureusement que son beau-père (Louis lui aussi) était là pour le travail de la ferme. Ils ont eu besoin de moi pour les aider. J’allais ainsi comme journalier dans plusieurs fermes.

On a su un jour, alors qu’on s’apprêtait à couper les foins, qu’un groupe de réfugiés, qui venaient du Nord, allaient être installés dans la salle de bal et séjourner là. La décision venait, je crois, de la Mairie [1]. En effet, une fin de journée, en rentrant des champs, j’ai vu toute une troupe de femmes, enfants et personnes âgées, pas loin d’une centaine, qui avaient élu domicile dans la salle de bal, avec des matelas à même le parquet.

Je ne les ai pas beaucoup fréquentés, car j’étais aux champs dans la journée. Je me souviens cependant qu’un jeune, qui devait avoir 16 ou 17 ans, est venu un jour ou deux avec moi, planter des choux. On était en juillet. Ils sont partis peu après. Ils étaient arrivés peu avant que les Allemands n’atteignent Quimper, et sont rentrés chez eux quand ils ont compris qu’ils n’avaient sans doute plus à fuir devant les Allemands, qui les avaient rattrapés, ni à craindre les bombardements ennemis dans le Nord, une fois l’armistice signé.

Réquisition de chevaux

On ne savait pas grand chose de ce qui se passait. Il y avait surtout des rumeurs. Il y avait des craintes. Les hommes qui étaient dans la force de l’âge étaient retenus en Allemagne. On prenait aussi les chevaux, qui devenaient rares. Leur prix avait fortement augmenté. Les maquignons couraient partout en chercher. On commençait à habituer les poulains de plus en plus tôt. Comment faire le travail dans ces conditions ?

Un jour, nous avons appris à la ferme que nous devions livrer un de nos chevaux. Une liste avait sans doute été faite à la mairie. Nous avions trois chevaux. Il nous en resterait deux : c’était le minimum nécessaire pour certains travaux comme les labours… Il fallait bien sûr se débarrasser de la plus mauvaise jument qui, il est vrai, n’avait pas très belle allure, plutôt ventrue (« bouzelleg »).

Et mon père m’a demandé de la conduire à Quimper, sur les Allées de Locmaria, car c’est là que se tenait une sorte de commission, à laquelle les chevaux devaient être présentés sur convocation. Quand mon tour est arrivé, j’ai fait avancer la jument. Ils l’ont regardée. Et voilà qu’elle a été refusée. Je suis donc rentré, plutôt fier, à la maison, avec la vieille jument. On l’avait échappé belle.

Le dimanche suivant, après la messe au Bourg, ma mère est allée prendre son café habituel chez sa nièce, qui tenait un bistrot avec une petite ferme. C’est là au Bourg, que les nouvelles s’échangeaient. Ma mère a raconté que la jument était revenue à la maison. Et là, la nièce dit qu’eux aussi étaient convoqués pour livrer un cheval aux Allemands. Et elles ont imaginé quelque chose à faire.

Le jour de la convocation, tôt le matin, je me suis rendu à Quimper, avec le char à banc tiré par la vieille jument. J’avais un prétexte quelconque comme aller acheter un sac d’engrais. J’ai dételé dans la cour de chez Bourhis, face à la gare. Ma cousine était là aussi avec son cheval, qu’elle avait attaché. Elle a pris la bride de notre vieille jument, et s’est rendue avec elle aux Allées de Locmaria. Je les suivais à une certaine distance. Quand son tour de passer devant la commission est venu, je regardais de loin : passera ? passera pas ? Et pour la seconde fois, la même jument a été refusée. Nous nous sommes retrouvés dans la cour Bourhis. J’ai attelé la jument au char à banc, et chacun est rentré à la maison avec sa bête.

Le coup avait marché. Bien sûr, nous avons été très discrets sur cette histoire. Pas question d’aller raconter cela autour de nous !

Article publié

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Annotations

  1. Le maire pendant la période de la guerre 1939-45 était Pierre Tanguy



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Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Création : Novembre 2009    Màj : 26.08.2023