Les deux retables de la Vierge d'origine flamande et du 15e siècle à Ternant et Kerdévot

De GrandTerrier

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Le retable de Kerdévot d'Ergué-Gabéric et le triptyque de Ternant dans la Nièvre ont une même origine flamande du XVe siècle et une même scénographie autour de la Mort de la Vierge inspirée par les écrits apocryphes.

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Analyse de l’ordonnancement comparé des panneaux dorés sculptés, de leurs datations respectives et ateliers d'origine, des études et plaquettes consacrées à Ternant, et enfin un reportage photo GT dans le village sud-nivernais en fin d'été 2021.

Autres lectures : « BERNARD Serge & CARIO Fabrice - Les retables de Ternant » ¤ « JOURNET René - Deux retables du XVe siècle à Ternant » ¤ « La chapelle de Kerdévot » ¤ « La scène des funérailles du retable flamand dans les sources apocryphes du christianisme » ¤ « Les marques de fabrique des ateliers flamands du 15e siècle sur le retable de Kerdévot » ¤ « ARKAE - Kerdevot Cathédrale de campagne » ¤ « Espace Chapelle de Kerdévot » ¤ 

Présentation

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Dans l'église Saint-Roch de Ternant, deux magnifiques retables portant l'un sur la Mort de la Vierge, et l'autre sur la Passion du Christ [1], ont été commandés par la famille de Ternant au XVe siècle. Le retable de la Vierge, issu d'un atelier flamand, se présente comme un triptyque dont les volets peints pouvaient se rabattre sur les panneaux sculptés centraux. Les panneaux sculptés en T renversé sont faits de statuettes en bois dorés et ont pour thème la mort de la Vierge Marie.

À Kerdévot les panneaux initiaux du retable de la Vierge se présentent aussi comme un T renversé, les deux scènes latérales supérieures ayant été ajoutées plus tard. Et la présentation est très voisine de celle de Ternant : registre inférieur avec ses 3 scènes centrées sur la dormition, scène supérieure avec le couronnement.

Plus précisément, si l'on compare les éléments de Kerdévot (avant le vol de 1973) et de Ternant, les 4 scènes se présentent ainsi :

  • Scène 1 : l'Adoration des bergers à Kerdévot, la Visite des apôtres à Ternant. Dans les deux cas les visiteurs expriment leur déférence à la Vierge.
  • Scène 2 : la Dormition sur les deux retables. Les deux scènes sont presque identiques : la Vierge est de profil sur son lit mortuaire, les apôtres l'entourent, saint Jean imberbe tout près, des lecteurs qui prient au premier rang ...
  • Scène 3 : les Funérailles sur les deux retables. Le convoi funèbre et son brancard porté par saint Paul, saint Jean en tête, les juifs au sol avec les mains coupées (deux à Ternant, quatre à Kerdévot où elles restent collées au brancard).
  • Scène 4 : le Couronnement à Kerdévot, et à Ternant l'Asomption complétée du Couronnement sur 2 volets peints. La trinité y est présente : Dieu le Père couronné à gauche, le Christ à droite, la colombe du Saint-Esprit au centre (plus en hauteur à Kerdévot), les anges (musiciens à Kerdévot).

Le retable de Ternant est daté de vers 1440, via une donation de Philippe de Ternant [2] (1400-1456), membre du Conseil du duc de Bourgogne et chevalier de la Toison d'Or [3]. Il est représenté, ainsi que son épouse Isabeau de Roy, sur les deux volets peints extrêmes du retable.

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Depuis les études récentes, notamment celle de Serge Bernard et de Fabrice Cario en 2003 [4], on attribue les deux retables à un atelier de Bruxelles, qualifié de brabançon ou de flamand car le duché de Brabant englobait les Pays-bas actuels et une partie de la Belgique. Ceci bien qu'aucune marque de guilde ne soit visible sur les statues, prédelle [5] et balustrades.

La plaquette de présentation, visible sur place dans l'église de Ternant, confirme l'hypothèse flamande : « L'étude du style des sculptures de la période 1430/40-1460 (drapé assez lourd, proportions assez trapues et attitudes statiques) permet de proposer l'hypothèse d'un atelier bruxellois », et avance l'âge du chêne qui constitue la structure de l’œuvre, les statues étant sculptées dans des blocs de noyer : « L'arbre de 350 ans a été abattu entre 1425 et 1450 maximum. ».

Le livre savant de René Journet [6] conclue à l'unicité de l’œuvre : « Ce retable de Ternant est le seul connu illustrant le cycle de la Dormition et de la Glorification de la Vierge. »

Mais il existe bien à Kerdévot - pour lequel on ne connaissait pas d'équivalent non plus -, un retable très similaire à celui de Ternant, se partageant une même scénographie avec des personnages d'environ 30 cm, sculptés et dorés. Le triptyque de la Vierge de Ternant est peut-être un peu plus simple pour ce qui concerne sa partie sculptée, les statuettes de chaque scène sont amalgamées dans des blocs de noyer, alors qu'à Kerdévot elles sont finement ciselées et indépendantes.

Du plus, pour Kerdévot, on a bien les marques de fabrique des ateliers flamands d'Anvers et de Malines, et la proposition d'une datation à 1480, soit quarante ans après celui de la Vierge de Ternant dont le style semble effectivement plus ancien.

Reportage photo



Ces plaquettes de présentation ci-dessous, mises en vitrine pour les visiteurs de l'église de Ternant, reprennent la plupart des information de l'étude de Serge Bernard et Fabrice Cario, et du livre plus ancien de René Journet:

Transcription partielle :

ATTRIBUTION ET DATATION

L'étude du style des sculptures de la période 1430/40-1460 (drapé assez lourd, proportions assez trapues et attitudes statiques) de l'architecture gothique semblable à celles des retables brabançons, de la frise bruxelloise de la période 1430/40-1470/80 permet de rapprocher le retable d'autres œuvres, et de proposer l'hypothèse d'un même atelier bruxellois pour le retable de la Vierge, le retable du Béguinage de Tongres en mays Mosan (vers 1435), le retable des apôtres de Rheinberg, plusieurs sculptures isolées et les fonts baptismaux de Hal. On ne peut attester de cette attribution car les marques bruxelloises (rabot et compas) ne sont pas présentes sur les œuvres.

Un des volets du retable représente le donateur Philippe de Ternant décoré de la première promotion de la Toison d'Or : le volet a donc été peint après 1430. De plus la peinture a un style un peu archaïque à la manière de la Chartreuses de Champmol, notamment dans le dégradé des couleurs et les plis.

L'étude dendrochronologique du Laboratoire de Recherche de Besançon (CNRS) met en évidence 253 cernes, c'est-à-dire 263 années) qui ont été comparés aux référentiels. Il s'agit d'un chêne à croissance lente en provenance de la Mer Baltique, au tronc de diamètre approchant les 70 cms. Le dernier cerne est daté de 1425, l'aubier (présents sur deux échantillons seulement) est daté de 1417/1419. L'arbre de 350 ans a été abattu entre 1425 et 1450 maximum. Il a donc commencé sa croissance au XIIe siècle. On ne peut connaître la date de naissance de l'arbre, ni

Quelques photos du retable finistérien :

Annotations

  1. Le retable de la Passion du Christ, don de Charles de Ternant, fils de Philippe, est un peu plus tardif que celui de la Vierge, dans la seconde moitié du XVe siècle, et est attribué aussi vraisemblablement à un atelier brabançon de Bruxelles.
  2. Philippe de Ternant (1400–1456), noble bourguignon de haute lignée du comté de Nevers et de la châtellenie de Savigny-Poil-Fol, seigneur de Ternant, de la Motte de Thoisy et de Limanton, fut chambellan de Philippe le Bon, duc de Bourgogne.
  3. L’ordre de la Toison d’or est l'ordre de chevalerie le plus élevé et prestigieux de l'Espagne, fondé à Bruges (ville de l'État bourguignon) le 10 janvier 1430 par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, à l'occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal.
  4. Dans son livre publié en 1963 René Journet n'exclut pas une production d'atelier bourguignon : «  L'origine flamande de ce retable n’est nullement évidente. La production brabançonne, si abondante à partir de 1480, est d’ailleurs faible à cette époque, à en juger par l’absence à peu près totale d’œuvres conservées. Il ne faut donc pas écarter l’hypothèse que ce retable ait été l’œuvre d’un atelier travaillant en Bourgogne. ».
  5. Prédelle, s.f. : partie complémentaire dʼun retable, habituellement divisé en panneaux peints ou sculptés, représentant diverses scènes. [Terme] [Lexique]
  6. « Deux retables du quinzième siècle à Ternant (Nièvre) », René Journet, Annales littéraires de l'Université de Besançon. Volume 49. 1963.



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Thème de l'article : Richesses patrimoniales Création : Août 2018    Màj : 5.02.2024