Les séjours de Jean-Marie Déguignet à l'hospice de Quimper

De GrandTerrier

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Dans ses mémoires, Jean-Marie Déguignet évoque au moins par deux fois ses séjours à l'Hospice de Quimper : en 1848 alors qu'il a 14 ans, et lors de ses dernières années de vie en 1902-1905.

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Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « 1845 - Action municipale pour l'envoi d'une mendiante à l'hospice » ¤ 

Présentation

Le jeune mendiant Jean-Marie Déguignet, blessé à la tête en tombant, alors qu'il avait été poursuivi par des abeilles, se vit proposer en 1848, alors qu'il avait 14 ans, un séjour à l'Hospice de Quimper [1] pour s'y faire soigner. 

Dès son arrivée, il plante le décor d'un lieu sous l'emprise de l'église et où les enfants de tous milieux étaient abandonnés : « A l’entrée de cet hospice, il y avait un calvaire, et ma mère me montra un grand Christ dont la main gauche était fermé sur le clou. Elle me dit que cette main s’était fermée une nuit qu’une personne très riche avait envoyé dans le tourniquet un enfant ».

Les soins y sont dispensés par des « sœurs », des religieuses de la Congrégation des Filles du Saint-Esprit. On le conduit « dans une grande salle, pleine de monde, les uns dans leur lit, ... dans les lits de douleurs et d’ennui ... ». Dans cette salle il y a de nombreux patients cardiaques si l'on en croit l'expression bretonne « klañv e galon » traduite par le bretonnisme « malade de cœur ».

Déguignet, venant de la campagne gabéricoise, espérait en venant à l'Hôpital apprendre un peu de français. Mais « il n'y avait là que des Bretons : des paysans comme moi, des pêcheurs de la côte et des ouvriers. Ces derniers savaient bien un peu le français, mais ils ne parlaient presque jamais ».

Il reste quelques semaines, le temps que sa plaie se referme définitivement, aidant le personnel de salle dans ses tâches de ménage et d'entretien : « L'infirmier m'employait souvent à l'aider dans ses travaux de salle, à cirer, à frotter, à astiquer et me donnait des morceaux de pain et de viande pour ma peine, car l'ordinaire des sœurs était bien maigre ».

Il quitte presque à regret le confort de l'hospice, devant reprendre ses occupations de mendiant professionnel : « Je fus remis en liberté. Mais hélas, que faire de ma liberté, rien autre chose que de reprendre la besace ».

Jean-Marie Déguignet reviendra à l'Hospice en 1902. Ainsi en témoigne un article du Journal Le Finistère daté du 12 avril : « Ce vieillard, âgé de 68 ans, s'était déterminé au suicide parce que son propriétaire lui avait donné congé ces jours derniers. Transporté à l'hôpital, il a été examiné par M. le docteur Coffec, qui a reconnu en lui la manie de la persécution et a conclu à son internement. ».

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Il prendra un autre logement, mais refera des séjours à l'hôpital jusqu'à ses tout derniers jours en août 1905. Quand il apprend son décès le mémorialiste Anatole Le Braz écrit : « J'ai sa dernière lettre où il protestait contre la vie qu'il était condamné à mener à l'Hôpital. ».

C'est bien à l'hospice qu'il meurt, et non « à la porte de l'hospice » comme cela est mentionné dans certaines biographies. Ce sont deux infirmiers de l'hôpital qui viennent déclarer le décès et l'acte d'état civil précise bien l'adresse de l'établissement « à six heures du matin, Rue de l'Hospice ».

Lui-même dans les dernières pages de ses mémoires relate son séjour dans l'asile des vieux : « Ici, à Quimper, il y a déjà quatre établissements, et les plus beaux, pour l'entretien de tous les tarés et de tous les rebuts de cette malheureuse espèce humaine ». Il surenchérit : « Mais pendant ce temps, on laisse sans soins, sans soucis, se perdre les plus jeunes et les meilleurs sujets, sur lesquels devraient au contraire se porter tous les soins et les soucis ». A-t-il oublié qu'il y fut soigné 57 années plus tôt, à l'âge de 14 ans ?

Textes des Mémoires

1. Séjour à 14 ans en 1848

Intégrale, page 83-86.

Ce fut ce jour-là que ce maire, remarquant ma blessure qu'il connaissait du reste depuis longtemps, me demanda si j'aurais été content d'aller à l'hospice où je serais certainement guéri de cette vilaine blessure.

« Mais oui, lui dis-je, certainement, je serais content d'y aller.

- Eh bien, dit-il, tu n'as qu'à dire à ton père ou ta mère de venir me trouver, et tu y seras bientôt ».

Quand je dis ça à ma mère, celle-ci fit un peu la grimace, et mon père, quand il entra le soir, secoua la tête. Ils pensaient bien que je serais guéri de la tête, mais ils songèrent toujours que le mal se transporterait ailleurs, à un endroit quelconque plus dangereux encore, mais enfin, voyant que j'étais content d'aller, ils cédèrent à leur préjugé. Et deux jours après, ma mère me conduisait à l’hospice de Quimper.

A l’entrée de cet hospice [1], il y avait un calvaire, et ma mère me montra un grand Christ dont la main gauche était fermé sur le clou. Elle me dit que cette main s’était fermée une nuit qu’une personne très riche avait envoyé dans le tourniquet un enfant. Elle s’agenouilla, et me fit s’agenouiller auprès d’elle, sur la marche du calvaire pour réciter un Pater et [un] Ave, puis me conduisit au bureau d’entrée. Aussitôt nous fumes séparés. Ma mère s’en alla en pleurant et moi aussi, je suivais la sœur [2] en pleurant, qui me conduisait dans une grande salle, pleine de monde, les uns dans leur lit, les autres assis à côté. Tous me regardaient comme une curiosité nouvelle. Car dans les lits de douleurs et d’ennui, un nouvel arrivant est toujours un événement. On me montra mon lit, le seul vide qu’il y avait dans la salle et dont le voisin, un pauvre breton comme moi, me dit que le précédant occupant de ce lit, était enterré le jour même. On me donna des effets d’hospice qu’il fallait mettre de suite. La sœur voyant bien que je n’étais pas malade de cœur me donna un peu de soupe le soir, avec les autres.

Le lendemain matin, quand le médecin vint, et quand il vit ma tête, il ordonna de me couper les cheveux et d’enlever cette espèce de plaque formée par le pus qui couvrait la blessure. Cela fait, le médecin revint et après avoir considéré et palpé la blessure, il prit une espèce de crayon à bout blanc, et commença à piquer tout le pourtour de la plaie : il me semblait que c’était un fer rouge qui me piquait [3]. Après son départ, je demandais à mon voisin ce que c’était que ce crayon ; il me dit que c’était une pierre de l’enfer, eur men eus ann ifern, [c’est] pour ça qu’elle brûlait en effet ; cependant je n’avais rien dit ; car alors comme durant toute ma vie, j’étais dur à la souffrance. J’ai souvent pleuré en voyant souffrir les autres, mais pour mes propres souffrances, jamais ! Le Dieu des souffrances cependant, s’il y en a un, sait que j’en ai eu ma part.

En allant à l'hospice, j'avais deux idées en tête. D'abord l'idée qu'on me guérirait cette horrible et ennuyeuse blessure, puis l'idée que je pourrais peut-être apprendre un peu de français. Mais pour ceci je fus déçu du premier coup, car il n'y avait là que des Bretons : des paysans comme moi, des pêcheurs de la côte et des ouvriers. Ces derniers savaient bien un peu le français, mais ils ne parlaient presque jamais.

En revanche, on pouvait apprendre des contes et des légendes bretons. On n'entendait que cela. En ce temps-là les paysans, les ouvriers, les pêcheurs, n'ayant aucune instruction, ne pouvaient parler que de ces choses-là, les seules qui faisaient les frais des conversations, des causeries en tous lieux quand quelques personnes se trouvaient réunies, et qui n'avaient pas autre chose à faire [...]. Mais je le répète, je n'appris là, en fait de contes et légendes, rites et autres bretonneries, [rien] que je ne savais déjà.

Je ne m'ennuyais pas trop à l'hospice ; n'étant pas malade de cœur, je pouvais courir dans les salles et dans la cour. L'infirmier m'employait souvent à l'aider dans ses travaux de salle, à cirer, à frotter, à astiquer et me donnait des morceaux de pain et de viande pour ma peine, car l'ordinaire des sœurs était bien maigre. Le médecin continuait à piquer tous les jours avec son crayon infernal ma blessure, en se rapprochant toujours du centre [3]. Au bout de trois semaines environ, elle fut toute brûlée et la suppuration complètement arrêtée. Oui, mais elle n'était pas guérie, car des jours j'en souffrais plus que je n'avais jamais souffert, et une grande bosse vint remplir la cavité de ma tempe ; pour le coup je pensai que j'en guérirai jamais de cette horrible blessure. Cependant, le médecin n'avait pas l'air de trouver cela si désespéré que moi [...].

On me garda encore quinze jours à l'hospice après la guérison, où je ne me plaignais pas trop du reste, grâce à l'infirmier puis à la sœur de la salle qui me trouvaient de l'occupation, puis je fus remis en liberté. Mais hélas, que faire de ma liberté, rien autre chose que de reprendre la besace, de faire comme avant mes trois tournées par semaine, les autres jours à chercher du bois ou à aider mon père quand il travaillait au marché.


2. Séjour à 71 ans en 1905

Intégrale, page 866-867.

Pour les autres espèces animales, on encourage la destruction des mauvaises bêtes, et des bêtes dangereuses, en même temps qu'on encourage l'amélioration des races utiles et bonnes. Mais pour cette maudite race humaine, on fait tout le contraire, on félicite, on flatte, on encourage ceux qui entretiennent à grands frais les plus mauvais, les plus vilains et les dangereux sujets, et cela au plus grand détriment des bons. Ici, à Quimper, il y a déjà quatre établissements [4], et les plus beaux, pour l'entretien de tous les tarés et de tous les rebuts de cette malheureuse espèce humaine, et on va encore en bâtir un autre ! Mais pendant ce temps, on laisse sans soins, sans soucis, se perdre les plus jeunes et les meilleurs sujets, sur lesquels devraient au contraire se porter tous les soins et les soucis, les tarés et les rebuts n'étant bons que pour le requiem aeternam qu'ils appellent du reste eux-mêle tous les jours dans leurs prières. Adveniat regnum tuum domine in requiem aeternam [5].

Coupures de presse

1. Le Finistère, 1902

Le Finistère 12.04.1902

2. Acte de décès, 1905

L'an 1905, le vingt-neuf Août, à deux heures du soir, devant nous Antoine Canet, officier d'académie, adjoint au maire délégué pour remplir les fonctions d'officier public de l'état civil de Quimper, ont comparu Jean-Marie Seznec, âgé de trente ans et Pierre Cuzon, âgé de vingt-trois ans, infirmiers domiciliés à Quimper, lesquels ont déclaré que Jean-Marie Déguignet, âgé de soixante et onze ans, sans profession, né à Guengat, domicilé à Ergué-Armel (Finistère), veuf de Marie Yvonne Rospart, fils légitime de feu François Déguignet et de feue Françoise Quéré est décédé ce jour à six heures du matin, Rue de l'Hospice.

3. Nécrologies

Anatole Le Braz :

Décès de JM Déguignet

« Dans l'Union Agricole du 6 septembre 1905, je lis aujourd'hui, à la rubrique des décès de Quimper, le nom de " Déguignet Jean, 71 ans, s.p. (sans profession), veuf de Marie Rospart ". Ainsi donc, il s'en est allé, le pauvre vieux. Est-il resté fidèle jusqu'au bout aux convictions qu'il s'était faites et dans cet admirable mépris des dieux qu'il proclamait avec tant de ferveur ? Il faudra que je tâche de m'informer de la date exacte de sa mort et de la façon dont il a franchi le grand pas. J'ai sa dernière lettre où il protestait contre la vie qu'il était condamné à mener à l'Hôpital. Je salue ici sa mémoire et vais tâcher de la prolonger le plus possible par la publicité de ses papiers. ».

(carnet EH, page 96)


Le Finistère 02.09.1905

Annotations

  1. 1,0 et 1,1 L'hôpital civil de Quimper, au départ situé dans l'ancien couvent Saint-Antoine de Mesgloaguen, fut déplacé en 1801 sur la colline de Creac'h Euzen dans les locaux du vieux séminaire (devenu en 1793 hôpital militaire). En 1824, le Conseil général y créa en plus, un hôpital psychiatrique. L'adresse de l'établissement était le 1, rue de l'Hospice. On l'appelait également l'asile Saint-Athanase. Au cours du 20e siècle il sera encore étendu et rebaptisé Hôpital psychiatrique Gourmelen, tout à côté de l'ancien hôpital Laënnec (lequel sera transféré à Ergué-Armel en 1981).
  2. Les soins aux malades étaient assurés par les Filles du Saint-Esprit.
  3. 3,0 et 3,1 Il s'agit probablement d'une cautérisation au nitrate d'argent.
  4. L'hôpital de Quimper étaient constitué de quatre départements ayant chacun un bâtiment propre. À partir de 1895 deux nouveaux bâtiments sont en construction.
  5. Adveniat regnum tuum domine in requiem aeternam : Que ton règne vienne Seigneur dans le repos éternel.



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Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Création : Décembre 2012    Màj : 8.03.2024