Louis Bréus, sécheur à la papeterie d'Odet

De GrandTerrier

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« Au départ sur la machine 7 ça tournait à 35 mètres de papier la minute ... »

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Louis Bréus, ouvrier factionnaire à l’usine Bolloré de 1947 à 1980, interviewé le 14 avril 2007 par Jean Cognard. Version imprimable de l'article en noir et blanc (8MB, 4 pages) : [Fichier PDF]

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Interview

D’où étaient vos parents, de Lestonan ?

Mon père était originaire d’Ergué-Armel, à Ti-an-Dréau, à côté de Meil-Dréau. Au départ mes parents habitaient à Lestonan chez Youenn Rannou. Je suis né là, dans cette maison, en 1923. Elle a été vendue à un Le Naour. Après, mes parents sont partis habiter dans le Champ, et ensuite ils ont construit là-bas rue de Menez-Groas, avant Pennaneac’h, là où habitait Rémi mon frère, à côté de chez Jean Hascoêt.

Avant de construire rue du Menez, mes parents avaient acheté à Le Meur un terrain à Stang-Odet, tout près de chez Marjan Mao, à droite, à côté du bois de l’usine. Ils étaient trois à avoir acheté : Cojean, Tallec (qui est parti à Scaër), et mes parents. Ils avaient même creusé et enlevé des cailloux pour les constructions. Et René Bolloré, le père, les a convoqués pour leur dire : «si vous bâtissez là, on ne vous garde pas à l’usine ». En fait il voulait être tranquille pour ses chasses dans le bois. Heureusement qu’ils ont construit à Menez-Groas, avec l’argent de la vente du terrain à Bolloré, l’école et les commerces étaient plus près.

Et où travaillaient-ils ?

Ils travaillaient tous les deux aussi à l’usine. Mon père à la machine, il était sécheur, et ma mère à la bobineuse. Ma mère était de journée au début, après elle était de faction, de 5 h à 1 h et de 1 h à 9 h. Elle est morte d’un cancer à 67 ans, deux ans après sa retraite.

Mon père a été blessé, un des plus graves qu’il y a eu. Il a eu les deux bras pris et cassés, on lui avait mis des visses, et la tête abimée. Il était passé dans les rouleaux de la grande machine. La machine 8 avait démarré début 1946, et c’est arrivé au mois de février. Il avait 46 ans. Il est parti travailler ensuite au labo. Il faisait des commissions, il envoyait des papiers aux écoles par exemple. Il est mort à 57 ans.

Avez-vous été longtemps à l’école ?

J’ai fait plusieurs écoles. J’ai démarré à l’école des religieuses dans une maison de la cité de Keranna, car les écoles de Menez-Groas n'étaient pas construites encore. Ensuite je suis parti à l’école laïque. Après je suis revenu à l’école des frères, en 1929, parce que les ouvriers de chez Bolloré devaient aller à l’école privée. Et au dernier moment je suis retourné à l’école publique, parce que c’était moins cher. Je suis resté à l’école jusqu’à 13 ans et demi.

En 1933 à on a tiré une photo où on était nombreux. Per Le Bihan qu’on appelait Per Logoden (la souris) était à côté de moi (le 3e à gauche au 1er rang). Pierre Mignon est là aussi. Bellinger de Vougueric est à droite au 1er rang. Louis Quillec qui habite à côté à Keranna. Henri Le Gars a mis tous les noms dessus.

Liste des élèves présents => Ecole St-Joseph de Lestonan 1933

Quel a été votre premier travail ?

J’ai commencé à travailler en 1937, à 14 ans, comme apprenti boulanger chez les parents de Fanch Ster à Stang-Venn. Le père, qui s'appelait Fanch aussi, était mort. Et ensuite j’ai travaillé à la campagne, dans la ferme de Kerouvois chez Le Menn, le maire, pour commencer, et ensuite à Lezebel, et à Kergenez, Ti-an-Ouron. A Kergenez j’ai été blessé, en faisant des deblayages quand un poteau est tombé sur moi et la charrette.

Après en 1940, j’ai fait autre chose. J’ai travaillé chez Cabanio, les poteaux électriques. J’ai été faire des routes, celle du Rouillen au Carpont avec l’entreprise Louarn de Briec. Après j’ai été chez Le Doaré de Kerourvois à Pont-Patra, jusqu’au chemin du Quélenec, parce qu’à Kerourvois il n’y avait qu’une garenne plein d’eau. Avant l’entrée à l’usine Bolloré en 1947 et notre mariage en 1949 j’ai travaillé aussi chez Piqueti une entreprise de pavés, presque deux ans. J’ai été faire le bâtiment EDF où est l’entreprise Lebon maintenant

J’ai fait plusieurs fermes aussi pendant la guerre. J'étais obligé d’aller me cacher des Allemands. On avait été obligé de passer une visite à la mairie de Quimper, et le maire d’Ergué, Pierre Tanguy, était venu avec nous. Trois de la commune de la classe 1943, Henri Le Gars, et Eugène Piriou, étaient le même jour que moi. Le maire et les militaires m'ont demandé si j'étais volontaire pour aller combattre les Russes. Je n'ai pas voulu, et je me suis caché dans une ferme à Elliant, à trois à dormir dans un lit clos. Quelqu’un nous a vendu, donc j’ai dû quitter cette ferme.

Comment l’embauche à l’usine s’est-elle passée ?

En 1947, mon père m’avait demandé de quitter Lebon pour venir travailler à l’usine. Et comme ça j’aurais pu faire son jardin. J’ai été embauché au mois d’octobre 1947. Le premier jour j’étais où on chargeait le charbon en bas, et à 4 heures le chef est venu me demander de passer mousse à la machine, à 9 heures le lendemain. Je n’avais jamais vu une machine. C’était la petite machine, la 7. En breton on l’appelait « mekanikou bihan ». On fabriquait du papier à cigarettes. J’étais avec Jean Quéau, le conducteur, et Jean Istin, le sécheur.

Au départ j’étais mousse sur cette machine seulement, pendant un ou deux ans. J’avais à surveiller les feutres, la toile, le coucheur et le montant. Quand ça venait trop, il fallait les tourner. Mais ça n’a pas duré longtemps, après j’avais deux machines : la 7 et la 8. Ils avaient installé une sonnette pour m’appeler. Des fois j’avais à peine mis le pied à une machine, que ça sonnait. Mousse c’était plus dur, et moins bien payé que les autres.

En 1953 j’avais du quitter l’usine, pendant 4 mois, tout l’hiver. La machine 8 était arrêtée pour être transformée. Ils avaient gardé à l’usine que les pères de deux enfants et plus. Je suis allé travailler chez Marchand, sur la route de Brest. J’ai du me servir de la pioche et de la pelle tout l’hiver, pour faire des branchements d’eau. J’allais très tôt travailler avec mon vieux vélo. Jean Quéré travaillait avec moi. On m’a repris après à l’usine comme mousse, quand la machine a redémarré.

Comment fabriquait-on le papier OCB ?

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Quand on fabriquait de papier à cigarettes, ils mettaient des produits chimiques. Et les mousses devaient tout préparer et nettoyer. Il fallait porter des seaux d’eau jusqu’à la barrique. Et après quand la toile passait il fallait faire attention de trop mouiller. Les vieux conducteurs ne voulaient pas montrer comment ça marchait, Fanch Moal par exemple. Ils disaient, après nous, il n’y aura plus personne pour s’occuper des machines. Mais ils ont été remplacés.

Au départ sur la machine 7 ça tournait à 35 mètres de papier la minute. Après ça a tourné plus vite : 45, 50, 60, 70, 80 mètres par minute. Là on a du la consolider.

Sur la 8, c’était marqué 1938 dessus, ça tournait doucement au début, et à la fin elle tournait à 120 mètres la minute.

La machine 10 c’était à 100-120 mètres, et il fallait envoyer la feuille jusqu’au bout de la machine. Ils avaient mis une corde pour l’envoyer, mais la plupart du temps elle cassait. Il fallait mettre le bout de la feuille dans les 10 cylindres. Et il fallait le faire chaque fois que ça cassait. Et quand il y avait de la casse, ceux de la calandre qui étaient de l’autre côté de la cloison, ils venaient rigoler et nous voir faire.

La toile il fallait la mettre à la main aussi au départ, on avait un coup pour la tirer sur le coucheur, mais à la fin ils avaient trouvé une sorte de pistolet qui giclait sur le coucheur, et ensuite sur le montant et ça allait sur la sécheuse. Et ils avaient mis une corde, mais elle cassait des fois, et il fallait faire venir un Istin de Scaër pour faire le « sklum », c’est-à-dire un nœud spécial. Jean Hascoët, le père, il avait voulu faire, mais il n’avait jamais réussi.

Êtes-vous resté longtemps au poste de mousse ?

Je suis resté mousse 14 ans, j’ai changé en 1960. J’ai démarré les grandes machines comme sécheur, à la machine 9, avec Man Kerouredan qui était conducteur. Il a été à l’entretien après. Des gens de Scaër étaient venus, soi-disant pour nous expliquer. Mais moi j’ai dit à un des chefs : « quand tu auras fait 14 ans aux machines, tu pourras m’apprendre, mais pas avant ! ». A la 9 on fabriquait du papier condensateur.

Le jour qu’on a démarré la machine 9, on avait eu à boire, et c’était la fête. Gwenn-Aël et toute la famille Bolloré étaient là. Et c’est moi qui ai amené la feuille au bout. Ça tournait pas trop vite et on a fait un petit rouleau. Gwenn-Aël a dit d’arrêter tout et nous a dit de venir boire un coup, il y avait du ricard, et des chansons après. Man était conducteur, Petit Louis Feunteun était mousse, Jean Le Gars aussi, et moi le sécheur.

Êtes-vous resté sur cette machine 9 ?

J’ai été un moment à la filigrammeuse. J’étais seul à cette machine. Sur les papiers à cigarettes, c’était écrit « Army Quality » pour l’armée anglaise, et « Bolloré … ». Je suis resté quelques mois. Ce poste avait été supprimé, et envoyé à Scaër. Une fois, j’ai eu les ongles arrachés avec cette machine. Parce qu’il fallait pousser la feuille, et c’était un dimanche matin la feuille est restée collée à la presse, et j’ai voulu la tirer, et clac les doigts, tous les ongles. Avec mon pied sur le bouton d’arrêt, sinon mon bras y passait comme c’était arrivé à mon père. Gwenn-Aël Bolloré et Garin étaient à la messe, ils ont parti les chercher, et ils m’ont donné un coup de gnôle. On est tous parti à Quimper en voiture avec Garin qui conduisant, à la clique St-Michel, à Bourg-les-bourgs. Et Garin a dit à la religieuse : « ma sœur, j’ai raté la messe ce matin … ». Gwenn-Aël est venu me voir après.

La machine 10 ensuite, je l’ai démarrée aussi en 1963 avec Jean Heydon de Stang-Venn, à l’Orée du Bois. D’ailleurs, ton père Antoine me remplaçait à la faction suivante, comme sécheur aussi. On démarrait à la même heure qu’on avait arrêté. Sauf quand quelqu’un était malade. Dans ce cas on démarrait à la même heure pendant trois jours, 3 jours à 5H ou 3 nuits à 9H par exemple.

Je suis resté sécheur à la machine 10 de 1963 jusqu’en 1980. Plusieurs sécheurs sont passés conducteurs, comme ton père, mais moi je suis resté sécheur. A cette machine, il y avait deux toiles, une en haut, une en bas. Moi j’étais plutôt en bas.

Avez-vous pris des photos aux machines ?

Une seule fois à la machine 10, près de l’armoire pour régler la sécherie. C’est Jean Le Gars de Briec et Jean Heydon qui sont avec moi. On n’avait pas le droit de tirer de photo, mais on a pris quand même. C’est un gars de la calandre qui a pris de photo. On voit même les sabots que j’ai gardé presque jusqu’à la fin. Je mettais du papier dedans. C’était plus sain, dans l’eau. Les autres étaient en espadrilles.

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Combien étiez-vous payé à l'époque?

Je ne me rappelle plus. On avait une paye par mois, le 8, avec la fiche de paie. Avec l’ancienneté, les dimanches. Et on avait un acompte le 15 dans une enveloppe qui était donnée par le surveillant. Je dois avoir encore des fiches de paie.

Et quand il fallait remplacer Jean Hascoët qui s’occupait de l’équipe de foot des Paotred quand il était de faction le dimanche après-midi, on me donnait un paquet de tabac en plus.

Quelles étaient les conditions de travail ?

C’était dur. Quand quelqu’un tombait malade, on ne mettait personne pour le remplacer, c’est les autres qui trinquaient. Et changer de toile ! Des fois on était presque rentré du travail, et on nous demandait de revenir. Souvent on était réveillé en pleine nuit, on entendait quelqu’un frapper à la porte. Des fois j’avais fini à 5 heures du matin, et on me demandait de venir changer la toile à 8 heures.

C’était toujours les mêmes qu’on venait chercher, ceux qui habitaient près, pas ceux qui étaient sur Elliant ou ailleurs. Ça pouvait durer jusqu’à 5 ou 6 heures pour changer la toile. Ça dépendait. Et il fallait changer les feutres aussi quand ils sortaient.

Il fallait porter des choses lourdes. Les rouleaux il fallait les prendre à bout de bras, un de chaque côté, pour les mettre dans la machine. On n’avait pas de chariot éleveur. Les jeunes ils n’avaient pas la force, et des fois ils lâchaient le rouleau qui tombait par terre.

Et la chaleur ! Il faisait plus de 40 degrès, jusqu’à 42 degrés. Des fois on a cassé des carreaux d’un coup de coude, pour faire un courant d’air.

Que preniez-vous pour manger pendant le travail ?

Des fois on n’avait pas le temps de manger, quand il y avait de la casse. On ramenait le casse-croute à la maison. Normalement je prenais un crouton de pain et du café. Jamais d’alcool. Le dimanche soir à 9H on passait à l’Orée de Bois prendre un coup de vin avec Jean-Louis Guéguen, et avec Jean Quéau et Istin.

Avez-vous fait grève en 1968 ?

On a fait grève comme tout le monde. Les femmes aussi. Il fallait bien faire grève pour avoir quelque chose. Après la grève, Eouzan le surveillant disait : « Alors, vous avez fait grève, qu’est-ce qu’il va y avoir dans ta poche ? ». Moi je lui ai répondu : « Et dans ta tête, il y a quelque chose aussi ? » Je n’avais pas peur à l’époque.

Quand j’ai démarré en 1947 on avait seulement 8 jours de congés payés. Après on a eu 15 jours. L’usine s’arrêtait un mois, et on nous envoyait dans le canal pour nettoyer jusqu’à l’écluse, sur un bateau, pour tirer les ronces et les bouts de bois.

C’était propre après. Il y avait deux gardes pour le bois à l’époque : Sizorn et Léonus. C’était pas le moment aller dans les bois sans permission. Après il y a eu Youenn Château. J’ai été invité un jour au château par Youenn, moi et Marcel Henri, un jour d’arrêt de machine.



Quand êtes-vous parti en retraite ?

J’avais 57 ans quand je suis parti en retraite en octobre 1980. On était licenciés économiques, on a eu une prime pour partir. Et j’ai fait un pot chez Pierre Quéré, j’avais invité tous les ouvriers de la faction, et les surveillants. C’était la faction A, Alain Belec était le surveillant. Marcel Henri le conducteur en dernier avait fait un joli discours, c’était vraiment bien. Et tout le monde avait chanté. Il y avait un article dans le journal, écrit par Pierre Roumégou. Les gens étaient venus ici ensuite chez nous pour prendre un coup et un casse-croute.

Autour de moi, ma femme et mes deux filles il y a Yves Perchec, René Even, Kergourlay, Kersulec, Michel Floc’h, Bouriquen, Gaby, Chanoun, Marcel Henri, Remy Quéniec, …

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Avez-vous reçu une médaille du travail ?

Oui, d’abord celle-ci prise dans les années 1970, avec les chefs de l'époque ; je suis le 2e à gauche au deuxième rang :

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Et une autre photo en couleur en 1980 où j’avais deux médailles (à gauche, au premier rang). Il y avait Jean Heydon, Jean Piriou, Pierrot Rannou, Man Kerouredan, Jos Bec, …

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Louis Bréus,
Usine d’Odet de 1947 à 1980



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Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Création : avril 2006    Màj : 26.08.2023