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De GrandTerrier

Où diable nous conduisait-on ? En allant à Sébastopol, nous suivions aussi la même direction. Connaissant déjà assez bien la géographie, je savais bien que l'Italie se trouvait là sur notre gauche, c'est-à-dire au nord de la Méditerranée, et nous continuions à filer vers le couchant. Mais, la nuit étant venue, chacun cherchant le moyen de se promener comme il le put. On se coucha les uns sur les autres. Le lendemain matin, je vis le soleil se lever derrière nous, donc nous allions toujours à l'occident. On ne voyait plus aucune terre. Cependant, vers trois heures de l'après-midi, nous aperçûmes sur la gauche une jolie bande bleuâtre à l'horizon de laquelle nous nous approchions toujours. Tout d'un coup nous voyions comme une forêt de mats au sommet desquels flottaient des drapeaux tricolores, et derrière cette forêt quelque chose comme une ville, mais dont les monuments, de la base au sommet, et jusqu'au sommet des clochers, disparaissaient entièrement sous des drapeaux, des guirlandes et autres draperies multicolores. Déjà, nous entendions les cloches de toutes les églises et des coups de canon annonçant notre arrivée. Quelle était cette villes ? c'était Gênes, disaient les uns. Naples, disaient d'autres, il y en avait même qui disaient que c'était Venise. Mais j'étais certain que ce n'était aucune de ces villes là. Nous avions dépassé Gênes depuis longtemps, et nous étions encore loin de Naples, et plus encore de Venise. Mais le navire stoppa bientôt, non loin du quai, et fut aussitôt accosté par de grands chalands dans lesquels nous descendîmes par compagnie. Arrivés au quai, nous sautions un à un, saisis des deux côtés par deux jeunes filles, ou plutôt deux anges, qui nous tendaient les mains en frémissant de joie et de bonheur, puis nous marchions ensuite entre deux haies formées par ces anges, les mains pleines de fleurs et de cigares. La terre elle-même était couverte de fleurs et de feuilles. Les cloches sonnaient à toute volée et des musiques jouaient La Marseillaise et les cris de : « Viva la Francia ! », « Viva l'Italia !», « Viva Napoleone ! », « Viva Vittorio Emmanuele ! », « Viva gli soldata ! », « Viva nostri liberatori ! » étaient poussés par des milliers de voix sur tout notre chemin. Nous recevions, en guise de mitrailles, des fleurs et des lauriers, en attendant que nous en recevions sans doute en fer et en plomb. On nous conduisit hors la ville dans un immense verger, où nous campâmes sur l'herbe. J'appris alors que nous étions à Livourne (Livorno), dans le duché de Toscane.

Mais nous n'eûmes pas le temps de nous reposer dans notre camp, si doux cependant. Les citoyens de la ville, tous habillés en soldats volontaires, venaient nous saisir par les mains et nous entrainer dans les cafés, les restaurants, les auberges ou autres lieux où les vins, les liqueurs, les cafés et autres boisson du pays nous étaient servis à discrétion, au milieu des cris et des chants en toutes les langues. Tout le monde parlait à la fois, chacun dans sa langue, mais on se comprenait quand même. C'était pour les Toscans l'amour de la liberté qui parlait (et l'amour n'a pas de langue), et nous autres nous nous laissions facilement entraîner par le même enthousiasme, ou plutôt par le même délire ; car c'était un véritable délire patriotique et de liberté qui était au cœur de ces gens. Victor-Emmanuel venait d'adresser aux Toscans un chaleureux appel aux armes pour chasser de chez eux les étrangers, les Autrichiens, qui les spoliaient et les tyrannisaient de si longtemps. Il les conviait à la grande union de tous les peuples italiens ; il les invitait à unir leurs efforts aux soldats piémontais, et aux braves et invincibles soldats de la grande nation unie, la France, l'émancipatrice des peuples opprimés.

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