Modèle:Petition1792-17-20

De GrandTerrier

de cet argent il acquiert une autre tenue qui lui procure le même intérêt de ses fonds.

Que l'on compare cette position avec celle du malheureux propriétaire que la Loi du 27 Août 1792 dépouille sans indemnité s'il a un fief, & dont l'indemnité, s'il n'a pas de fief, n'est pas du quart, pas même du vingtième peut-être, comme on le verra bientôt. Copropriétaire tenoit cependant de ses pères, ou avoit acquis à grands frais sur la foi publique, peut-être sur la foi du décret du mois de Juin 1791 ! Et très certainement sa propriété étoit très-légitime.

Mais, ajoute-t-on, & c'est ici l'objection la plus spécieuse, les ci-devant seigneurs de fiefs seroient tout aussi fondés à se plaindre de la suppression de leurs fiefs, de la suppression de tous leurs droits féodaux sans indemnité. La différence est grande ; la féodalité a un vice d'origine qu'aucune prescription n'a pu couvrir ; les droits féodaux n'étoient point fondés sur la liberté des conventions. On sait que les premiers seigneurs de fiefs n'étoient que des usurpateurs de terres qu'ils n'avoient eues qu'a vie, que l'on mommoit bénéfices ou bienfaits ; qu'ils devinrent dans ces terres de petits souverains, de petits despotes, des titans, qui imposoient à ce qu'ils appeloient leurs vassaux telles charges que dictoit leur avarice. Telle est l'origine des droits féodaux, incompatibles avec la liberté & que l'on a justement proscrits.

Mais il n'en est pas de même de la Tenure convenancière, fondée sur la liberté des conventions, dont l'origine, nous ne saurions trop le répéter, est antérieure de plusieurs siècles à l'établissement de la féodalité, & exclusive de toute contrainte, de toute servitude.

Tout ce que nous avons dit suffiroit, sans doute, pour prou-


ver la nécessîté de rapporter ce décret des 23 & 17 Août 1791, & de maintenir celui des 30 Mai, 1, 6 & 7 Juin 1791. Mais quelques observations sur les principaux articles de ce funeste décret en rendront encore plus sensible toute l'injustice.

« L'assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité de Féodalité, considérant que la Tenure connue dans les Départemens du Morbihan du Finistère & des Côtes du Nord, sous les noms de Convenans & Domaines congéables, participe de la nature des fiefs, & de qu'il est instant de faire jouir les Domaines des avantages de l'abolition du Régime féodal, décrète qu'il y a Urgence ».

Nous avons démontré ci-dessus que la Tenure à Domaine congéable n'étoit qu'une espèce particulière de ferme, & ne pouvoit participer de la nature des fiefs, puisque les fiefs n'ont été établis qu'environ 400 ans après son origine.

Mais pourquoi donc l'Urgence dans une matière qui certainement n'intéressoit pas le salut de la Patrie ?

C'est ici le lieu d'en faire connoître les motifs, & une partie des manœuvres employées par les intrigans.

Dès les commencemens de 1789, lorsqu'il fut question de nommer des Députés aux Etats-Généraux, quelques ambitieux, qui cherchoient à se procurer les suffrages des cultivateurs qui fesoient la grande majorité parmi les Electeurs, imaginèrent de leur faire naître l'idée de demander la suppression des Domaines congéables. [ Cette idée étoit bien singulière après 13 ou 1400 ans sans réclamations. ] Parmi ces ambitieux se distingua particulièrement un Magistrat d'une Sénéchaussée du Morbihan ; il avoit six mille livres de rentes en droits réparatoires, & c'étoit un coup de fortune, s'il pouvoit y réunir le fonds. Il parcourut les campagnes pour engager


les cultivateurs à former cette inique demande, offrant de l'appuyer aux Etats Généraux, s'il y étoit Député, & parvint ainsi à se faire nommer. Un grand nombre de Domaniers honnêtes s'indignèrent néanmoins de ces propositions : nous n'avons, disoient-ils, acquis que les édifices & superfices de nos tenues, nous n'avons aucun droit aux fonds, ni aux bois pour lesquels nous n'avons rien déboursé, & il seroit de toute injustice de dépouiller nos propriétaires fonciers. Mais comme la plupart des hommes consultent plus leur intérêt que la justice, la plupart des cahiers contenoient des demandes relatives aux Domaines congéables ; aucun cependant n'alloit aussi loin que le décret du mois d'Août 1792, pas un ne demandoit la propriété du fonds ni des bois qu'on leur a si généreusement accordée. Cependant lors du décret du 4 Août 1789 qui déclara rachetables les rentes censives & féodales, ce député subtil fit glisser à la rédaction & Domaniales. La fraude fut apperçue, & pensa lui occasionner une affaire sérieuse, il en fut cependant quitte en disant qu'il s'étoit trompé, qu'il avoit cru que c'étoit l'intention de l'Assemblée.

Ce ne fut qu'en 1791, qu'on s'occupa des Domaines congéables ; on connoissoit dans les pays d'usemens toutes les intrigues des ambitieux, & notament de ce Député, qui ne craignit pas de dire à l'Assemblée que les Domaniers se révolteroient si on ne leur donnoit la propriété de leurs Domaines, ce qui assurément étoit de toute fausseté ; qui après avoir coloré de zèle du bien public, celui qui l'animoit en faveur des Domaniers, eût l'impudence de dire à la Tribune qu'il parloit contre son intérêt, puisqu'il avoit six mille livres de rente en Domaines congéables-; malheureu-


sement pour son amour propre, un de ses collègues qui le connoissoit, le releva, démasqua l'imposture & fit connoitre à l'Assemblée que ces 6ooo livres de rente étoient en Domaines passifs, c'est-à-dire en droits réparatoires auxquels il paroissoit vouloir réunir le fonds à peu de frais ; il en fut encore pour sa courte honte.

Quoi qu'il en soit, les propriétaires prirent l'alarme, & comme ils n'ignoroient pas qu'il étoit d'autant plus aisé de surprendre l'Assemblée constituante que la Tenure convenancière étoit tout à fait étrangère à la plupart des Députés, ils firent parvenir de tous côtés des adreffes & mémoires, dans lesquels en faisant connoître ce que c'étoirt que le Domaine congéable, & ses avantages pour tout le monde, il leur fut aisé de prouver qu'on cherchoit à tromper nos Repréfentans, & que bien loin de supprimer les Domaines congéables, il eut été avantageux que cette Tenure se fut propagée dans toute la France.

L'assemblée nationale trouva la matière assez importante pour ne pas se décider légèrement ; après quelques discussions, les trois Départemens de Domaines congéables furent consultés. Enfin en très grande connoissance de cause, & après avoir entendu ses Comités de féodalité, Constitution, des Domaines, de Commerce & d'Agriculture, elle rendit le décret des 30 Mai, 1, 6 & 7 Juin 1791, qui en abolissant les usemens, en ce qu'ils peuvent avoir d'onéreux, maintient la Tenure convenancière ou à Domaine congéable. Ce décret est très sage. tous les articles sont fondés sur la Liberté sacrée & inviolable des Citoyens dans leurs conventions ; c'est pour aisii dire un dévelopement de l'article 16 de des droits de. l'Homme & du Citoyen.