Un terrible sanglier solitaire tué et empaillé par René Bolloré

De GrandTerrier

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L'histoire d'une fin de journée d'un entrepreneur papetier, passionné de chasse, guidé par les hurlements de son chien Rocambol, à la rencontre d'un immense sanglier solitaire [1] qui faillit le massacrer par surprise.

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L'animal est tué in-extrémis et ensuite empaillé, en position debout sur ses pattes arrière ; la bête impressionnante est toujours visible dans le hall d'accueil du manoir de la papeterie d'Odet orné aujourd'hui d'un képi militaire.

L'auteur du récit est un père jésuite qui rend hommage à son ami papetier René Bolloré, décédé en janvier 1935.

Autres lectures : « LA CHEVASNERIE René-Marie (de) - Souvenirs d'un Ami » ¤ « René Bolloré (1885-1935), entrepreneur » ¤ « René-Guillaume Bolloré (1911-1999), résistant et entrepreneur » ¤ « Espace «Papeterie d'Odet» » ¤ « Les mémoires de Louis Barreau, ingénieur des papeteries Bolloré » ¤ « Chronique de Ménez-Groaz par Laurent Huitric en 1998 » ¤ 

Présentation

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Dans le texte de René Marie de La Chevasnerie [2] l'anonymat du chasseur est simulé, dans le sens où il est nommé « X., « notre héros » ou « mon ami », mais, comme dans les autres chapitres, il s'agit bien sûr de l'entrepreneur papetier René Bolloré.

Ils se connurent sans doute lors d'un séminaire d'anciens du collège Saint-François de Vannes ou lors d'une prédication du père jésuite dans les années 1920. Dans ses « Mémoires », le futur ingénieur Louis Barreau confirme leurs liens par cette rencontre de 1925  : « je reçois une invitation de St-François Xavier pour une retraite d'anciens, prêchée par le père de la Chevasnerie à Penboc'h. Je me rendis à cette invitation où je rencontrai Mr. Bolloré ... »

Le récit démarre par une ambiance de chasse à courre : « les piqueurs ne pouvaient que sonner la retraite » ; « Rocambol, le plus beau type de la meute, n'était pas au rendez-vous et le piqueur-chef se demandait ... ».

Le lieu de chasse est magnifique : « à l'intérieur de la forêt, se trouve une étroite vallée, couverte d'herbes hautes, encaissée entre les deux collines, avec, au milieu, un ruisseau rapide, aimé des truites et courant sous des saules ».

La localisation précise n'est pas donnée par le père jésuite, mais un ancien de Lestonan, Laurent Huitric, nous a transmis cette information : « M. Bolloré avait une chasse dans la forêt du Huelgoat, où il avait failli être tué par un énorme sanglier ».

Ce fameux sanglier est décrit ainsi : « le terrible sanglier » ; « un vieux solitaire [1], puissant et rusé, d'un poids énorme et aux formidables défenses ». Après beaucoup de suspense, une attaque surprise de la bête, le fusil de chasse à double canon donnera au chasseur son statut de « vainqueur ».

En 1944, le sanglier est placé au moulin voisin de Mouguéric, tout proche du manoir d'Odet, comme le témoigne le fils de Louis Barreau qui y séjourna pendant l'été : « près de l'usine d'Odet, une ancienne ferme joliment transformée en rendez-vous de chasse ... À l'entrée, se dressait, debout sur ses pattes postérieures, un sanglier empaillé. »

En 1951, date d'édition des « Souvenirs d'un Ami » , l'animal empaillé est dans le hall du manoir familial : « Les visiteurs de l'usine peuvent voir maintenant, dans le vestibule de la maison d'habitation, empaillé et débout sur ses pattes de derrière, le terrible sanglier ».

Aujourd'hui la silhouette naturalisée y trône toujours, debout sur le socle d'un porte-manteau, avec sur la tête le képi militaire des Services des Poudres laissé après guerre par le fils aîné [3] du chasseur, prénommé également René.

Une chose est certaine, René Bolloré père était un passionné de chasse. Lorsqu'en 1920 il acheta l'île du Loc'h de l'archipel de Glénan, pour 10.000 francs, c'était pour assouvir sa passion de la chasse car il pouvait y tirer le canard autour de son étang central.

Et Laurent Huitric confirme cet attachement cynégétique : « Il avait un élevage de chevreuils, auxquels on envoyait à manger en hiver. Il avait aussi un chenil à Meil Mogueric, un élevage de faisans et de perdrix à Gousgastel chez René Sizorn et un autre à keranguéo chez Pierre Léonus.  »

Transcription

IV

LE SANGLIER

Depuis le matin, la meute « était » sans succès, sur un sanglier, un vieux solitaire, puissant et rusé, d'un poids énorme et aux formidables défenses.

Quatre chiens, le ventre ouvert, s'en étaient aperçus à leurs dépens.

Mais la nuit tombait : les « toutous » revenaient l'un après l'autre, fourbus, et les piqueurs ne pouvaient que sonner la retraite en attendant quelque nouvelle tentative plus favorable, un jour ou l'autre ...

Or, Rocambol, le plus beau type de la meute, n'était pas au rendez-vous et le piqueur-chef se demandait, navré, s'il ne haletait pas aussi, lui, au bord de quelque ruisseau, avec ses boyaux à la traine.

Chi lo sa ? [4] ...


(page 26) Quant à notre ami, mécontent de cette « journée manquée », puisqu'il ne l'avait pas réussie selon ses désirs, il rentrait seul, par un sentier de la belle forêt, son fusil sous le bras, en mâchonnant une brindille.

Lorsqu'il s'arrêta brusquement : dans le lointain, apporté par le vent du soir, il a cru reconnaître la voix de Rocambol, mais un aboiement sauvage et lugubre, comme d'un chien furieux et qui a peur.

Ne serait-il pas en face du sanglier, acculé dans quelque bauge [5], mais qu'il n'ose charger, tant les terribles défenses demeurent menaçantes ...

X. retient sa respiration et il écoute, en chasseur passionné, les moindres indices que lui apporte la brise à travers l'épaisseur de la forêt.

Tout à coup, il se redresse comme un ressort : aucun doute, c'est Rocambol et qui hurle à la mort.

Il est devant le sanglier qui, bien reposé, va choisir son moment, foncer en éclair et le découdre, comme les quatre malheureuses victimes de la journée.

C'est qu'on ne plaisante pas avec ces monstres ! ... Hommes ou chiens, c'est un sport pour eux de les abandonner, pantelants, sur le ring.

Les résolutions de notre ami sont, en général, aussi rapides qu'énergiques.

Il vérifie aussitôt ses deux cartouches à grosses chevrotines, arme son fusil, le jette sur son épaule et, à


(page 27) grands pas, à travers les taillis, vers l'endroit d'où il a cru entendre jaillir les appels rageurs et impuissants.

Mais qu'il fait sombre. La nuit est complètement tombée et ce n'est qu'au juger et au son qu'il peut se diriger, à travers l'enchevêtrement des gaulis [6].

De temps en temps, il s'arrête et prête l'oreille.

Rocambol hurle toujours, mais sa voix se rapproche ou, plutôt, le chasseur gagne du terrain vers le lieu du drame.

Dans la forêt, une chouette, quelque part, hulule tristement.

On dirait que, d'arbre en arbre, elle accompagne le visiteur nocturne de son domaine.

Ah ! une prairie ...

De fait, à l'intérieur de la forêt, se trouve une étroite vallée, couverte d'herbes hautes, encaissée entre les deux collines, avec, au milieu, un ruisseau rapide, aimé des truites et courant sous des saules.

Mais l'heure n'est pas à la pêche, pas plus qu'à faire de la poésie sur le paysage, d'ailleurs parfaitement invisible dans la nuit.

Fait passionnant, la voix de Rocambol l'en assure, en face, quelque part dans les fourrés du bois, sur la colline, le sanglier tapi dans sa bauge, attend l'instant propice pour éventrer le chien ... ou l'homme assez fou pour s'aventurer jusqu'à lui.


(page 28) C'est pourtant ce que X. a résolu de réussir.

Pénétrant dans le ruisseau qu'il traverse, de l'eau jusqu'aux genoux, il s'avance dans l'herbe haute de l'autre bord et entre dans le bois, sombre comme une gueule de four.

Les branches qu'il écarte reviennent sur elles-mêmes et le fouettent au visage.

Pour protéger les gâchettes de son fusil, il le cache sous son bras et, le canon en avant, progresse péniblement, se dirigeant toujours vers les aboiements sinistres.

Mais la colline devient abrupte, presque à pic et notre ami, pour avancer, doit se traîner sur les genoux, serrant toujours son fusil sous son aisselle et écarquillant les yeux pour essayer de percer l'ombre.

Il doit être, maintenant, à quelques pas des combattants, car le chien, qui a senti son maître, s'est tu.

Quant au sanglier, il est certainement ramassé sur lui-même, prêt à foncer sur l'intrus qui approche et qu'avec ses yeux de bête sauvage, il voit aussi bien qu'en plein jour.

Alors que faire ? ... Si seulement la lune avait la bonne idée de paraître et d'éclairer la scène ...

Mais non, le temps est maussade. Même une petite pluie fine comme de la bruine, se glisse à travers les feuilles du maquis.

Allons, il est impossible de s'éterniser stupidement !

Et toujours, sur les genoux, deux doigts sur les


(page 29) gâchettes de son fusil, notre héros fait un mouvement en avant, quand, rapide comme l'éclair, vrai bolide lancé en trombe, le sanglier fonce sur lui, en fracassant branches et arbustes.

L'attaque est si brutale et soudaine que notre ami n'a pas le temps de réfléchir et pèse instinctivement sur les deux gâchettes.

Un tonnerre : les deux coups sont partis en même temps, défonçant l'énorme bête si proche que les poils sont brulés par la déflagration. La masse inerte roule sur le chasseur qu'elle bouscule rudement, sans le blesser, toutefois.

Mais Rocambol se précipite, fou de rage : à pleines dents, il s'acharne sur son antagoniste immobile et sanglant, tandis que le vainqueur se relève, encore tout abasourdi par l'évènement qui vient de se dérouler en moins d'une seconde.

Les visiteurs de l'usine peuvent voir maintenant, dans le vestibule de la maison d'habitation, empaillé et débout sur ses pattes de derrière, le terrible sanglier, dont le côté porte toujours la plaie du double coup de feu, entouré de poils calcinés ...

Et j'ai songé à la Bonté du Seigneur qui, en cette circonstance, a préservé mon ami d'une mort certaine, sans doute pour lui permettre de faire tout le bien qu'il a « réalisé » depuis.

Pages imprimées

Annotations

  1. 1,0 et 1,1 Solitaire, adj. : un sanglier qui vit seul ; le substantif masculin sanglier vient du latin vulgaire singularis (porcus)1 qui signifie littéralement « porc solitaire » et a d'abord désigné « le mâle qui vit seul » ; source = Wikipedia. Chez le sanglier, les mâles naissent et grandissent au sein d’une compagnie dont ils s’émancipent pour vivre seuls. Ils sont alors désignés par le terme de « solitaires », bien connu des chasseurs. Source : Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage
  2. René-Marie de La Chevasnerie est né en 1899 à Champteussé (49) et décédé à Brest en 1968. Formé par les jésuites de Cantorbery, ordonné prêtre en 1921, son premier poste est au collège Saint-François de Vannes, dont il est Recteur de 1923 à 1926. Il fait sa réputation par ses dons de prédicateur, édite une Vie de Julien Maunoir (« Tad Mad »), crée l'Institut des Sœurs de l’Agneau de Dieu et sera très lié à la famille Bolloré d'Odet.
  3. René Bolloré (1911-1999) fils a effectué avant 1940 son service militaire comme sous-officier aux Services des Poudres d'où gardera son képi doté de l'insigne règlementaire. Après guerre il le posera sur la tête du sanglier empaillé d'Odet et l'y laissera.
  4. « Chi lo sa ? » : expression usuelle en italien signifiant "qui sait ?".
  5. Bauge, s.f. : lieu fangeux où le sanglier se retire pendant le jour. Synonyme : souille. Source : Tlfi.
  6. Gaulis, s.m.pl. : taillis dont les branches devenues longues sont propres à faire des gaules. Source : Tlfi



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Thème de l'article : Contes et chants populaires Création : Avril 2016    Màj : 9.11.2023